MAX-ANDRÉ RAYJEAN
BARRIÈRE VIVANTE
COLLECTION «ANTICIPATION»
ÉDITIONS FLEUVE NOIR
69, Bd Saint-Marcel - PARIS XIIIe
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© 1975, « Éditions Fleuve Noir », Paris.
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CHAPITRE PREMIER
Comme sous l'effet d'une baguette magique ou d'un coup de prestidigitateur, un point, extrêmement brillant, se matérialisa dans l'espace, spontanément. A mesure que son éclat diminuait, il perdait sa forme sphérique et devenait elliptique.
Le vaisseau émergea ainsi de la quatrième dimension, s'immobilisa un instant pour permettre la réadaptation au système de propulsion conventionnel. Les tuyères crachèrent cinq jets fulgurants et continus d'une formidable énergie. Un orage magnétique perturba l'éther pendant quelques instants puis s'apaisa.
Le COS-200 redémarra alors à une vitesse voisine de celle de la lumière. Son accélération fut foudroyante et sans les élémentaires précautions anti-G, l'équipage aurait subi de graves lésions organiques.
L'ordinateur-robot, maître absolu de l'astronef pendant l'hibernation des hommes, modéra l'allure de l'engin pour la ramener à cent mille kilomètres/heure. Dès cet instant, le processus de réchauffement s'enclencha dans les containers d'apesanteur.
Les températures rectales de Jé Mox et de ses compagnons remontèrent progressivement vers la normale. La vie, un moment suspendue, retrouva son rythme ; cœurs et poumons recommencèrent à battre.
C'était une opération de routine pour l'équipage du COS-200, appartenant au Centre de Secours Spatial installé sur Ter-7, dernier bastion figurant dans la conquête du cosmos. Il y avait plusieurs années que Jé Mox, Nadie Gem, Gia Paz et Ten Roof avaient subi le « baptême » de la quatrième dimension. Maintenant, le fait de franchir cette barrière du temps les laissait indifférents.
L'ordinateur attendit que les hommes sortent de leurs caissons et, comme à l'accoutumé, il annonça d'une voix impersonnelle :
— Bonjour, messieurs. Bonjour Nadie. Il ne s'attarda pas sur cet accueil et très rapidement, il entra dans le vif du sujet :
— Nous sommes à trois millions de kilomètres de Molkar. Nous pénétrerons dans la zone d'attraction du système dans exactement...
— Ça va, mon vieux ! trancha Gia Paz en pratiquant quelques exercices d'assouplissement. On se passe de tes détails techniques car de toute façon, nous devons tout vérifier.
Il mit ses poings sur ses hanches, tourné vers la masse compacte du cerveau électronique, et ajouta :
— A la fin, quand comprendras-tu qu'après avoir été congelés comme des tas de viande, nous aimerions bien entendre quelque chose de gentil ! Psychologiquement, c'est très important. La quatrième dimension tape sur le moral et toi tu es démoralisant ! Comment veux-tu qu'on ait des mines réjouies ? Chaque fois, je ressens du vague à l'âme.
Il prit une mine triste, s'affala sur un siège, et bomba son gros ventre. Ses traits se creusèrent.
Ten Roof ironisa :
— Voyez-moi ce gros plein de soupe ! Vous savez pourquoi il a du vague à l'âme ? Je vais vous le dire. A chacune de ses permes, il joue les Don Juan et charme une fille. Alors quand il se retrouve dans l'espace et qu'il voit nos binettes, ça lui fout le cafard. Ses pensées vadrouillent du côté de Ter-7.
Gia laissa retomber mollement ses bras. Il paraissait vidé et expliqua, haussant les épaules avec mépris :
— Oui, j'ai des regrets. Sur Ter-7, il y a peut-être deux jolis yeux qui pleurent de chagrin et cette idée me bouleverse.
Nadie poussa du coude son camarade :
— Tu crois l'âme féminine aussi sensible, Gia ? Ta pépée se console sûrement dans les bras d'un autre. Mais elle est certaine d'une chose : c'est que tu ne la tromperas pas pendant ta mission !
La grimace de Paz s'accusa, devint une affreuse cicatrice :
— Des fois que je dégoterais un amour d'Extra-Terrestre ! soupira-t-il, les yeux clos.
Jé s'approcha de son pupitre, peu intéressé, par les propos de ses amis. Il alluma le panoramique. Une magnifique étoile jaunâtre apparut, scintillante, si proche, que son éclat nécessitait l'apport d'un filtre protecteur devant l'écran.
— Molkar ! dit Mox. Ou si vous préférez, ZM. 17 X.
Il se retourna vers ses camarades, groupés devant l'ordinateur :
— Hé ! Vous m'écoutez ?
Ten hocha sa tête aux joues maigres :
— Je préfère Molkar. C'est plus poétique.
— Molkar ou pas, vous savez pourquoi nous sommes ici, à vingt-deux années-lumière de Ter-7.
Gia se boucha les oreilles et leva les yeux au ciel :
— Oh ! là, là... Oui. Nous le savons. Le colonel Zolos nous a rabâché la leçon plusieurs fois avant le départ. Or, jusqu'à preuve du contraire, le passage dans la quatrième dimension n'affecte pas la mémoire ! Paz retrouva aisément sa place devant son poste de télécommunications. Il guetta des sons en provenance de l'espace et ne récolta que des interférences, des sifflements.
— Bougre ! grommela-t-il. Il y a de la perturbation. En tout cas pas le moindre appel des « disparus ».
— Tu ne peux rien tirer de cette friture ? demanda Jé.
Gia baissa l'intensité des bruits s'échappant des haut-parleurs :
— Rien. C'est intraduisible. D'ailleurs, ces échos ne proviennent sûrement pas d'une source intelligente mais ont une origine naturelle. Alors c'est cuit pour l'AX-I8 et les autres. Il ne fallait quand même pas s'attendre à ce qu' « ils » nous guident comme des bleus...
— Ils sont peut-être foutus, conclut Jé. Alors ils ne risquent pas de nous appeler.
Trois vaisseaux de l'Exploration Spatiale étaient portés manquants. Or, tous trois étaient en mission du côté de Molkar. Tous les efforts pour obtenir le contact-radio avec les équipages avaient été vains.
L'Exploration tout court, comme on l'appelait communément, groupait une vaste organisation tentaculaire dont l'activité croissait sans cesse à mesure que l'homme étendait sa conquête de l'Univers. Elle rassemblait des ingénieurs, des techniciens, des savants, mais aussi des pionniers.
Ceux-ci appartenaient à une catégorie de personnel situé au bas de l'échelle. Ils étaient recrutés après une sévère sélection, mais il fallait des hommes courageux, désintéressés, avides d'aventures, pour explorer l'espace. En général, ils n'avaient pas froid aux yeux, ils aimaient le risque et bannissaient la vie sédentaire. Par ce moyen, ils échappaient ainsi à la routine et avaient l'impression d'une totale liberté.
Ils étaient pourtant tous spécialistes de quelque chose. Ils découvraient des mondes nouveaux, prospectaient, ramenaient une moisson d'informations extraordinaire. Au fond, ils se donnaient beaucoup de mal et on les récompensait très peu. C'était des hommes insensibles, au cœur dur, fier, et ils se disaient justement que sans eux l'humanité serait toujours prisonnière sur sa vieille Terre natale.
Ils avaient raison. Ils préparaient l'avenir. Ils avaient un travail ingrat, souvent dangereux, et la liste des pionniers morts en service s'allongeait constamment. Ils affrontaient toutes sortes de climats, de végétations, de vies intelligentes. Ils étaient formés pour ça et chaque fois ils repartaient avec plus de hargne, plus d'assurance. Ils se livraient même entre eux à de grandes compétitions, mettant un point d'honneur à découvrir une planète où l'homme pourrait vivre.
Jé tira trois clichés d'un porte-documents. Il les examina. Tous les trois représentaient un astronef et seul un matricule les différenciait. Il y avait l'AX-I8, l'AM-I4 et l'OZ-2I Sous les clichés suivait la liste des équipages, généralement de quatre ou cinq hommes.
Nadie avait beaucoup d'admiration pour les pionniers, mais elle trouvait qu'ils manquaient d'éducation. Ils étaient souvent mal polis et dans les réunions, ils parlaient toujours de leurs exploits, comme si les autres catégories de travailleurs ne servaient à rien. En réalité, la grande aventure humaine dans le cosmos nécessitait la collaboration de tous. C'était un ensemble cohérent, structuré, qui avançait ses pions avec méthode. Sa progression était lente mais irrémédiable. Là où l'homme s'installait, il ne repartait plus ; il faisait sien ce monde nouveau.
Nadie imagina des équipages projetés dans une aventure inouïe :
— Qu'est-ce qu'ils faisaient sur Molkar ?
Gia plaça dans sa bouche une plaquette de chewing-gum vitaminé. Il fallait qu'il mâche constamment quelque chose, ne serait-ce que pour calmer son énorme appétit. S'il était gros, il y prenait de la peine et ne se pliait à aucun régime.
Il se renversa sur son siège devant sa table d'écoute devenue muette :
— Quelle question, ma jolie ! Tu aurais dû demander ça à l'un des capitaines, celui de l'AM-I4 ou celui de l'OZ-2I. Ça n'a pas d'importance. Regarde leurs photos ; c'est tous des jolis garçons !
La navigatrice jeta un rapide coup d'œil sur les clichés que Jé étalait sur une table. Elle haussa les épaules :
— Ils ne savent pas parler aux femmes. Dans ce genre, Gia, tu excellerais davantage.
Paz se rengorgea :
— Dommage que Jé ait le béguin pour toi. Sinon je te ferais volontiers du plat.
Nadie se savait jolie. Pourtant, elle n'aguichait ni Gia, ni Ten. Sa préférence allait à Jé, pas seulement parce qu'il était le commandant, mais parce que les sentiments ne se discutaient pas. En tout cas, s'ils se mariaient, la direction du C.S.S. les muterait probablement dans les rampants. Alors comme ils avaient horreur de la sédentarité, ils prolongeaient leurs fiançailles. A moins qu'ils n'aient droit à une dérogation spéciale...
Mox expliqua :
— Les trois astronefs exploraient Molkar avec mission de ramener toutes les informations nécessaires sur les quatre mondes de ce système. Grâce à eux, un relais pourrait s'édifier un jour sur l'une de ces quatre planètes pour guider les vaisseaux à travers l'espace.
Le robot-ordinateur du bord apprit à ce moment-là que le COS-200 franchissait la zone d'attraction du système solaire. Il demanda à Jé :
— Quelle planète choisissons-nous ?
— Celle que tu voudras. Il faudra sans doute toutes les passer au crible.
— Bien. J'ai sélectionné la seconde, la plus proche, à quarante millions de kilomètres. Après la décélération, notre vitesse va croître à nouveau.
— Je te fais confiance, mon vieux. Tu as l'habitude.
Le robot restait courtois, même obséquieux. Il n'empiétait jamais sur l'autorité des hommes :
— C'est vous qui commandez, Mox, remarqua-t-il.
A partir de cet instant, la vitesse du COS-200 augmenta considérablement, sans jamais atteindre celle de la lumière. Ainsi, Molkar-2 grossit avec rapidité sur le panoramique.
Déjà l'ordinateur avait braqué des testeurs. Son cerveau avait effectué de prodigieux calculs :
— Planète de type D.7. Sans oxygène. Port du scaphandre obligatoire. Vapeur d'eau. Ammoniac. Végétation à forme de lichens...
— Tais-toi ! supplia Gia. Je t'ai déjà dit que tu nous cassais les oreilles avec tes détails techniques.
Le robot arrêta son verbiage pour annoncer brusquement, sans émotion :
— O.V.N.I. à deux cent mille kilomètres. Cap A.3 B.5.
Jé se précipita vers son pupitre de commandes situé au-dessous du panoramique. Il déplaça un curseur sur une échelle graduée et l'amena à hauteur du code indiqué par l'ordinateur.
— A.3 B.5.
Un second curseur coupa la ligne du premier. Dès lors, l'image du grand écran se modifia. Elle devint floue puis progressivement reprit sa netteté. Elle montra un « objet » en suspension dans l'espace.
Un grossissement rapprocha la vision. Alors Mox lança une exclamation de surprise :
— Vous savez ce qu'est l'O.V.N.I. ? Regardez donc !
Ses camarades ne s'en privèrent pas. Groupés devant le panoramique, ils admirèrent l'objet en question. C'était un astronef terrien de forme conventionnelle, tel qu'en utilisait l'Exploration Spatiale. Il semblait immobile dans le vide.
— Sa vitesse ? interrogea Jé.
— Vitesse zéro, apprit l'ordinateur instantanément.
— Gia, au boulot. Tâche de contacter cette carcasse.
Paz se précipita vers ses appareils. En vain lança-t-il des appels. Ils demeurèrent muets.
Mox hocha la tête, perplexe :
— Bizarre qu'ils ne répondent pas. Dans trois minutes, nous serons assez près pour lire de matricule de l'engin.
En effet, le numéro du vaisseau en détresse fut bientôt visible. Tous l'identifièrent en même temps.
— OZ-2I !
— C'est l'un des trois astronefs que nous recherchons.
— Ah ça ! qu'est-ce qu'il fout dans ces parages, sans bouger, comme si...
Gia s'interrompit et Ten insista :
— Comme si... ? Achève donc.
— Bah ! Comme s'ils étaient tous morts à bord ! grommela Paz avec une grimace. J'espère qu'ils ont simplement une panne.
— Ils auraient aussi une panne d'émetteur, remarqua Jé. Ça fait beaucoup de choses.
Manuellement, il réduisit la vitesse du Cos-200 et navigua de façon à stabiliser celui-ci à hauteur du navire en perdition. Les deux engins n'étaient séparés que par une centaine de mètres.
Il ne restait qu'une solution et Mox l'envisagea très vite. Il tira son scaphandre spatial d'une armoire et demanda à Roof :
— Tu m'accompagnes ?
Nadie frémit en voyant ses camarades s'équiper. C'était peut-être un piège et elle lança, méfiante :
— Faites très attention !
Jé s'avança vers la jeune fille, la saisit aux épaules et la regarda bien en face. Puis il l'embrassa sur le front :
— Mon chou, nous appartenons au C.S.S. Notre mission est justement de secourir les cosmonautes en détresse. Or, l'OZ-2I paraît à la dérive.
Il rabattit son casque sur son visage, leva le pouce pour montrer que tout allait bien, et se dirigea vers le sas. Engoncé dans son scaphandre, il marchait en se dandinant.
Ten le suivait. Ils passèrent dans la chambre de translation, attendirent la décompression, et ouvrirent le sas. A l'aide du moteur-fusée de leur combinaison, ils s'éjectèrent dans le vide.
Ils possédaient à fond l'expérience pour un tel sauvetage. Très lentement, ils s'approchèrent de l'épave, en firent le tour, l'examinant attentivement. Apparemment, ils ne notèrent aucun dégât dans la coque.
Restés dans le COS-200, Nadie et Gia suivaient anxieusement les évolutions de leurs amis et priaient pour que tout se passe bien. Même pour des hommes avertis, le danger subsistait. Chaque mission comportait des impondérables, des aléas. Aucune ne ressemblait aux précédentes.
Flottant dans le vide et assurant sa stabilité avec adresse, Jé parvint près du sas de l'OZ-2I. Chaque vaisseau possédait une commande manuelle extérieure, utilisée en cas de défection de l'ouverture automatique.
Mox actionna le levier. Il dut s'y prendre à plusieurs reprises pour parvenir à un résultat. La lourde porte étanche coulissa.
Les deux hommes se hissèrent dans le vaisseau, refermèrent le sas derrière eux et assurèrent eux-mêmes l'oxygénation du container. Le système de régulation fonctionnait normalement.
Ils visitèrent l'OZ-2I de fond en comble, mais ne découvrirent pas un seul membre de l'équipage : le vaisseau était vide !
Cette amère constatation laissa Jé rêveur. Il se demandait bien où étaient passés les habitants de la nef spatiale. Pour apprécier les éventuels dégâts, Mox s'installa au poste de pilotage.
Il essaya de mettre en route les moteurs à photons. Les chambres de combustion ne s'allumèrent pas. Pourtant, la réserve d'énergie était amplement suffisante pour rentrer sur Ter-7.
Jé appela Gia par le truchement de son transcepteur individuel. La communication s'établit.
— Il n'y a personne dans l'OZ-2I. Tout paraît en ordre mais les moteurs ne fonctionnent pas.
— On va prendre l'épave en remorque ? suggéra Paz.
— Pour l'emmener où ? Tu es fou ! Il faut d'abord retrouver l'équipage... Heu... Regarde sur la liste. Comment s'appelle le capitaine ?
— Klas. John Klas, précisa Gia. Tu crois qu'on le retrouvera ?
— A ton avis, qu'est-ce qui a pu arriver à l'OZ-2I ?
— Ma foi, dit Paz, embarrassé. Je ne sais pas. Si tout est en ordre à bord, je ne pense pas qu'ils aient fichu le camp de leur propre initiative, sans motif sérieux.
— Il y a peut-être un motif sérieux, que nous ne connaissons pas ?
— Jé ! prévint Gia d'un ton peu rassuré. Cette épave ne m'inspire pas confiance. De deux choses : ou Klas a abandonné son vaisseau ou il s'est fait ratatiner sur place.
— Comment ça ?
— Tu m'en demandes trop. Je ne suis pas le Bon Dieu. Mais à ta place, je rentrerais.
Mox acquiesça :
— O.K. Mais avant, je voudrais jeter un coup d'oeil sur les papiers du bord, de façon à savoir s'ils n'ont pas eu d'ennuis en cours de route.
Il coupa la communication avec le COS-200 et il fouillait dans les archives lorsque Roof poussa une sourde exclamation :
— Jé ! Nous partons à la dérive !
Le commandant délaissa les documents qu'il compulsait et se précipita vers le tableau de bord. Il constata que le tachymètre avait décollé de sa position zéro. Donc, le vaisseau n'était plus immobile.
Sa vitesse augmentait même progressivement, ce qui inquiéta salement Ten :
— Il est trop tard maintenant pour regagner le COS-200. Nous fonçons à plus de cinquante mille kilomètres à l'heure.
Dépité, Jé donna un grand coup de poing dans sa paume gauche largement ouverte. Ses traits se crispèrent. Il essaya de résoudre rapidement la situation mais les événements le dépassaient.
Il manipula en vain des commandes :
— Nous sommes dans une épave incontrôlable. Ce n'est pas les moteurs de l'OZ-2I qui nous propulsent, mais une force électromagnétique nous attire.
— Bizarre, hein ? grimaça Ten. La force a précisément attendu que nous soyons à bord pour se manifester. Tout cela sent le piège à plein nez !
Mox éclaira le panoramique. Une boule lumineuse montait à toute allure vers lui :
— Molkar-2.
Une terrible anxiété secoua le mécano. Derrière le hublot de son casque, ses yeux exprimaient la plus franche épouvante. Comme Jé, il pensait que l'OZ-2I pouvait très bien s'écraser sur la planète devenue le point de mire d'un véritable boulet de canon.
Même Nadie et Gia ne pouvaient rien faire. Ils suivaient impuissants la course folle du vaisseau fantôme.
Molkar-2 se rapprochait hideusement.
- :-
La première, Nadie Gem eut conscience du danger. Elle poussa une sorte de cri démentiel :
— Ils vont s'écraser !
Gia ne perdit pas son sang-froid. Il se mit en relation avec Mox, demandant d'une voix haletante :
— Jé ! Peux-tu décélérer ?
— Non, c'est impossible. Une force irrésistible nous attire. Je suppose qu'elle est d'origine électromagnétique.
Paz se figea devant des appareils de contrôle. Il vérifia des aiguilles sur des écrans :
— Oui, apprit-il. Elle provient de Molkar2. Qu'est-ce que je dois faire ?
— Tu nous suis. Au cas où ça tournerait mal, tu ramasseras les morceaux avec une petite cuillère !
— Comment peux-tu plaisanter dans des situations pareilles !
— Bah ! Que veux-tu que je fasse d'autre !
Jé avait des nerfs d'acier, parfaitement équilibrés. Aujourd'hui encore, il montrait toute sa maîtrise. Mais sous ce masque de décontraction, sous cette voix joviale, se dissimulait une grande inquiétude. La mort ne l'effrayait pas. En signant son contrat avec le Centre de Secours Spatial, il savait qu'il exposait sa vie, il connaissait les dangers qui l'attendaient. Seulement, il se disait que mourir trop jeune, c'était moche.
Ten le tira de sa rêverie :
— Jé ! On dirait que nous ralentissons.
Mox se rua vers le tachymètre. Il constata que l'aiguille revenait progressivement vers le zéro. Il lâcha un soupir de soulagement.
— On ne dirait pas ; c'est sûr. A moins que ce bazar soit détraqué.
Il eut bientôt la confirmation par Gia :
— Votre vitesse diminue, Jé ! Or, normalement, elle devrait augmenter. Ça signifie que de bons génies veillent sur vous et ne tiennent pas à ce que l’OZ-2I se casse le nez sur Molkar-2.
— Hum ! toussa le commandant, pas complètement rassuré. Même si nous nous posons comme une fleur, je croirais que c'est avec intention. Je me méfie de la réception, en bas.
Dès lors, nos amis n'eurent plus aucune action sur les événements. Ils se laissaient emporter au gré d'une force dirigée à distance par d'invisibles opérateurs. Mais nul doute, un cerveau intelligent se cachait derrière cette intervention.
L'épave entrait maintenant dans le champ attractif de la planète. A mesure que le sol se rapprochait, la vitesse se réduisait. En fait, quand l'OZ-2I toucha une immense plaine sableuse, le tachymètre indiquait exactement zéro. Il s'était posé en douceur, sans une secousse, comme un engin téléguidé.
Roof s'épongea le front, conscient qu'il venait d'échapper à un immense danger. Certes, il ignorait encore les motifs qui poussaient des inconnus à utiliser un vaisseau d'origine terrestre, mais il se répétait qu'il était encore en vie et que c'était le principal. En ce moment, il pourrait être une informe bouillie de chair humaine mélangée à des débris d'acier.
Il éclaira le panoramique, sonda du regard la longue plaine qui s'étendait jusqu'à un horizon montagneux.
— Personne, Jé. Personne pour la réception. Qu'est-ce que tout ça signifie ? Mox observa à son tour le décor désertique, vérifia les testeurs et les analyseurs. Il grimaça :
— Rien de folichon. Il n'y a pas un gramme d'oxygène sur cette foutue planète et la température approche du zéro. Ce n'est pas ici qu'on installera un bastion.
— On sort, Jé ? suggéra Ten.
— Oui. Ça sent plutôt le renfermé là-dedans.
Les deux hommes quittèrent l'épave, trouvèrent une pesanteur inférieure à celle de Ter-7, mais malgré cet inconvénient, ils foulèrent le sol avec plaisir. D'ailleurs, ils s'accoutumaient très vite aux diverses atmosphères car ils avaient subi un entraînement intensif. D'autre part, leurs scaphandres étaient pourvus de tous les appareils capables de leur faciliter la tâche.
Ils s'éloignèrent un peu de l'OZ-2I et regardèrent le ciel où couraient des nuages blanchâtres. Il y avait de la vapeur d'eau, en effet.
La voix inquiète de Nadie traversa les écouteurs de Mox :
— Jé... Tu n'as rien ?
— Mais non, mon chou.
— J'ai eu peur, tu sais. Peur pour toi, et pour Ten. Tu peux expliquer ce qui s'est passé ?
— Oh ! c'est facile. L'OZ-2I était immobilisé dans l'espace comme un appât. Nous avons mordu à l'hameçon. Tu veux franchement mon avis ? Quelqu'un désirait qu'on se pose sur Molkar-2. Pourquoi ? Je n'en sais encore rien.
Quelques minutes plus tard, le COS-200 franchit le matelas de nuages et apparut au-dessus du désert de sable. Il se stabilisa un moment à la verticale de l'autre astronef, puis amorça la descente finale. Il atterrit à trois cents mètres.
Les quatre amis se retrouvèrent avec plaisir. Dans leurs scaphandres, ils ressemblaient à de gros insectes. Pourtant, ils étaient obligés de garder leurs combinaisons.
Des tas de questions les assaillirent. Jé se demandait encore pourquoi il était vivant :
— Quel manège étrange ! En tout cas, ça ne résout pas la disparition de l'équipage de l’OZ-2I. Klas est bien quelque part. Ou il est mort, ou...
Il s'interrompit, haussa les épaules et ajouta :
— Ou il est peut-être prisonnier.
— Il n'y a pas que l’OZ-2I, remarqua Gia. Il y a l'AX-I8 et l'AM-I4, dont nous n'avons toujours aucune trace.
Jé interrogea l'ordinateur du bord. Celui-ci donna des renseignements au sujet du système solaire de Molkar :
— Les analyseurs spectroscopiques sont formels. Une seule planète possède de l'oxygène et une possibilité de vie humaine : Molkar-I. S'il existe une civilisation, elle doit être sur ce monde.
— Bon, dit Mox à moitié satisfait. Nous visiterons les quatre planètes. Seulement il faut d'abord savoir pourquoi on nous a fait venir ici.
Ten lança une idée valable :
— Si c'était pour détourner l'attention ?
— Ma foi, constata le commandant, ce n'est pas idiot, ton hypothèse. Mais en tout cas, l'affaire paraît entendue. Il existe un type de civilisation avancée sur Molkar et dorénavant nous devrons prendre nos précautions.
Ils quittèrent leurs combinaisons et se mirent à l'aise. Il leur semblait qu'ils se trouvaient en sécurité à l'intérieur du COS-200 et de son champ d'ondes répulseur. Néanmoins, tous leurs systèmes d'alarme étaient branchés.
Le soleil déclinait à l'horizon lorsque Nadie Gem, en faction devant le panoramique, interrompit le repos de ses compagnons.
Elle poussa un cri de surprise :
— Venez vite ! IL repart !
Jé bondit de sa couchette :
— Qui ?
— L'OZ-2I.
— Nom de Dieu ! jura Roof. Il nous fout le camp devant le nez. Vous croyez qu'on peut l'arrêter ?
Mox se calma :
— Sûrement pas. D'ailleurs, nous ne lèverons pas le petit doigt pour intervenir. L'OZ-2I ne nous intéresse pas ; nous recherchons surtout son équipage.
L'épave venait de décoller du sol, comme soulevée par une force irrésistible. Elle prenait de plus en plus de la hauteur et sa vitesse s'accroissait. Bientôt, elle ne fut qu'un petit point brillant dans le ciel et disparut complètement dans les derniers feux du soleil couchant.
A la pensée qu'il n'y avait personne à bord, nos amis trouvaient la chose insolite. Gia ne décolérait pas :
— Nous aurions dû descendre l'OZ-2I ! Jé jugea sévèrement cette suggestion :
— Tu veux couper définitivement tout moyen de retour à Klas ?
Paz haussa les épaules, convaincu que Klas et son équipage étaient morts. Car au fond, rien n'indiquait qu'il y eût des survivants.
Nadie poussa un profond soupir :
— C'est navrant. ILS ont accaparé l'OZ-2I et grâce à l'électromagnétisme, ILS l'utilisent entre leurs mondes. Cela voudrait-il dire qu'ils ne possèdent aucun astronef ?
Mox hocha la tête :
— Probablement. Ça n'empêche pas qu'ils ont des techniques avancées dans le domaine de l'électronique et du magnétisme.
Ten s'impatienta. Il n'aimait guère l'inactivité :
— Bref, on ne lui colle pas au train, à l'OZ-2I ?
— Non, répondit le commandant. Nous le retrouverons un jour ou l'autre. Pour l'instant, il faut chercher sur Molkar-2. Ne croyez pas que nous avons été attirés ici pour des prunes.
Ils prirent une nuit de repos bien mérité, sous la garde des différents appareils de surveillance. Il ne se passa aucun incident pendant les heures qui suivirent.
Puis, dès le matin, ils se partagèrent la besogne. Ils équipèrent deux bulles d'observation et commencèrent leurs recherches, élargissant sans cesse leur champ d'investigation.
Chaque bulle était pilotée par un homme. Jé tint à faire partie de toutes les rotations et à la fin de la matinée, leurs efforts furent récompensés.
Ils découvrirent quelque chose.
CHAPITRE II
Jé et Gia patrouillaient à ce moment-là, alors que Nadie et Ten les attendaient patiemment à bord du COS-200, prêts à toute éventualité.
Le premier, Paz aperçut la carcasse tordue au fond d'une vallée. Il survolait une chaîne de montagnes assez hautes, aux rochers escarpés, sans la moindre végétation. Les rochers avaient parfois des reflets bleuâtres et la vallée coupait en deux le massif.
Il appela Mox :
— Rejoins-moi, en vitesse. J'ai trouvé une épave !
— L'OZ-2I ?
— Tu rigoles ! Non, c'est plus petit. Ça ressemblerait à une nef de secours. En tout cas l'engin paraît en piteux état et il n'y a personne aux alentours.
— Bon. Donne-moi ta position.
Gia lut les coordonnées sur son plan de vol et en informa Mox. Celui-ci avertit Nadie et Ten qu'ils avaient découvert un indice, puis il gagna à son tour la vallée.
Les deux bulles volaient de conserve, à quelques mètres l'une de l'autre. Ensemble, elles piquèrent vers le sol et atterrirent. Les deux hommes en jaillirent et marchèrent vers l'épave.
Nul doute, Paz avait raison. Il s'agissait bien d'une nef de secours et le nom OZ-2I était même gravé sur le métal. L'identification s'opérait sans difficulté.
Les nefs de secours étaient utilisées en cas d'avarie des astronefs. Elles pouvaient assurer pendant plusieurs mois, éventuellement, la survie d'un équipage. Dotées d'un système propulseur autonome à l'énergie nucléaire, pourvues de vivres et de matériel, elles avaient la possibilité de naviguer dans l'espace et de gagner une planète proche par leurs propres moyens. Evidemment, ce n'était qu'une embarcation de sauvetage, mais tellement bien conçue qu'à elle seule elle était un petit astronef.
Jé fit le tour de la carcasse éventrée, grimaça :
— ILS ont eu un bel accident.
— Qui ça ?
— L'équipage de l’OZ-2I, parbleu ! J'imagine ce qui s'est passé. Quelque chose ne tournait pas rond à bord ; ils ont utilisé la nef de secours pour venir sur Molkar-2.
Paz fouillait les débris. Il ne trouvait pas grand-chose d'intéressant et en tout cas pas un seul cadavre. Il n'avait pas la même conception des faits que Mox :
— Tu as constaté toi-même que l'OZ-2I n'avait subi aucun dégât. Alors pourquoi auraient-ils abandonné leur vaisseau ? Et puis, s'ils s'étaient écrasés à l'atterrissage, nous retrouverions au moins leurs corps. Car je ne pense pas qu'après une telle catastrophe il puisse y avoir des survivants.
— Ça m'étonnerait en effet, approuva Jé. Ils ont bousillé complètement la nef.
Ils cherchèrent des traces de pas aux alentours, mais la terre supportait une sorte de lichen qui couvrait le moindre pouce de terrain. Il n'était pas question d'y trouver une empreinte.
Gia se frappa soudain le front :
— Est-ce que les astronefs des pionniers possèdent des champs d'ondes protecteurs ?
— Non, dit Jé. Il n'y a que les vaisseaux militaires qui sont dotés d'un tel système de protection, d'ailleurs tout récemment mis au point. Mais il est possible, et même certain, que dans l'avenir l'ensemble de la flotte spatiale sera équipée de tels champs. Cela nécessite des investissements coûteux, et en tout cas un ancien vaisseau ne peut pas être transformé. Il faut concevoir cet équipement au moment de sa fabrication, car il est incorporé dans la carcasse.
Le visage de Paz s'épanouit :
— Une veine que le COS-200 ne soit pas une vieille guenille ! Nous bénéficions des découvertes modernes.
Mox renonça à s'infiltrer dans les débris de la nef de sauvetage. D'ailleurs, toutes ses investigations se solderaient par un échec. Il valait mieux orienter les recherches dans une autre direction.
— La nef est vide. Je ne sais pas s'ils sont morts ou vivants mais ils sont bien quelque part !
Les deux hommes retournèrent vers leurs bulles, genres d'oeufs transparents d'une extrême maniabilité. Ils reprirent leur vol interrompu.
Ils remontèrent la vallée et constatèrent que celle-ci se terminait par un cirque encadré de hautes montagnes. Or, en bordure d'une falaise, sur une sorte de promontoire ou d'éperon rocheux, ils repérèrent un second indice.
— Un abri gonflable ! dit Gia, stupéfait.
— Oui, confirma Jé. Un abri identique à ceux qui équipent les nefs de secours. Il fait partie de tout un matériel de survie. Est-ce qu'il y aurait du monde là-dedans ?
— En tout cas, constata Paz avec un doute, notre présence ne semble guère soulever la curiosité. Rien ne bouge en bas.
Ils se posèrent, descendirent en hâte, et coururent vers l'abri en criant :
— Hé ! Hé !
Personne ne se montra. Nos amis en éprouvèrent une amère déception et ils étaient sûrs qu'ils venaient ici pour rien.
La grosse tente gonflable possédait un sas. L'intérieur était confortable et permettait à plusieurs occupants d'y vivre en sécurité. Un, système d'oxygénation fabriquait un air respirable.
Jé entra le premier. Il se figea sur le seuil. Dans le dortoir, il découvrit un homme gisant sur une couchette.
- :-
L'homme n'était pas rasé. Sa barbe épaisse, noire, formait un collier sur ses joues creuses. Il avait des yeux égarés. Son scaphandre spatial était posé à côté de lui.
Quand il vit entrer Mox et Paz, il essaya de se relever mais ses forces lui manquèrent. Il retomba mollement sur sa couche.
Jé se débarrassa de sa combinaison, s'agenouilla auprès du rescapé et lui demanda :
— Qui êtes-vous ?
L'autre dit d'une voix faible :
— Je m'appelle John Klas.
— Le capitaine de l'OZ-2I ?
— Oui.
— Que vous est-il arrivé ?
Klas secoua négativement la tête. Il n'avait visiblement pas envie de parler. Pourtant, il précisa :
— Je n'ai plus de provisions. Je n'ai rien mangé depuis huit jours. Aussi j'ai bien cru que je crèverais de faim, ici, sur cette foutue planète.
Gia tira une boîte de rations de sa poche, en extirpa plusieurs comprimés et les donna au capitaine :
— Tenez, ça vous retapera.
Klas croqua les dragées, mais ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes qu'il ressentit les effets de la nourriture déshydratée. A mesure que ses forces revenaient, il trouvait la vie plus belle. Un sourire illumina enfin son visage :
— Vous veniez pour moi ?
— Oui, expliqua Jé ; nous appartenons au Centre de Secours Spatial.
— Vous êtes Jé Mox, je parie.
— Vous me connaissez ?
— Non, mais j'ai entendu parler de vous. Il paraît que vous êtes un fameux agent et que votre vaisseau est le meilleur du Centre.
— Bah ! Je ne suis pas seul, il y a mon équipage.
Jé n'aimait pas les compliments exagérés. Il passa vite à autre chose, détournant la conversation :
— On peut savoir ce qui est arrivé ? Klas se releva, s'assit sur son lit. Il passa sa main sur sa barbe et grimaça :
— Je ne suis guère présentable.
— Ça ne fait rien, dit Mox. Nous ne sommes pas à un concours d'élégance. Vous avez eu un accident ? Nous avons trouvé votre nef de secours écrasée dans la vallée.
— Ces cons-là, dit Klas, évoquant son équipage, ont cru bien faire en m'abandonnant ici. Ils sont partis vers Molkar-I, je crois, mais ils ont essuyé une tempête magnétique et ils sont revenus en catastrophe. Ils se sont cassé la gueule à l'atterrissage. Je n'ai rien pu faire.
— Vous avez assisté à l'accident ?
— Oui. J'étais en contact avec eux. Ils m'ont dit que ça ne gazait pas. Encore une fois, ils auraient dû m'écouter et rester en orbite en attendant qu'ils réparent.
— Ainsi, ils vous ont abandonné ?
Le capitaine de l'OZ-2I poussa un profond soupir :
— Au fond, je ne leur en veux pas. Nous avions perdu notre vaisseau et ils savaient que deux autres astronefs exploraient Molkar. Ils voulaient surtout rejoindre l'un d'eux et moi j'étais pas d'accord. Par précaution, je leur disais d'attendre ici qu'on vienne nous chercher. Seulement ils avaient le feu aux fesses. Et comme ce n'était pas de petits saints, ils n'ont pas hésité à tenter leur chance. L'emmerdant, c'est qu'ils avaient emporté le stock de rations alimentaires. Tout a été foutu dans l'accident.
Mox lui apprit que les deux autres vaisseaux étaient l'AX-I8, et l'AM-I4, qu'ils avaient aussi disparu. C'était à cause de ces trois astronefs en perdition que le COS-200 était ici.
Cette nouvelle alarma Klas :
— Les autres ont dû avoir les mêmes ennuis que nous. Nous approchions de Molkar-2, notre objectif, lorsque l'OZ-2I fut littéralement stoppé. Ses moteurs n'arrivaient pas à l'arracher à la force qui le paralysait ! Alors nous décidâmes d'abandonner le vaisseau.
— Vous n'auriez pas dû ! reprocha Mox. Il n'existait pas un danger immédiat.
— Vous êtes marrant ! Si ça vous arrive, je vous jure que ça fait une sale sensation. Et puis mon équipage commençait à bouillir d'impatience. Bref, nous abandonnâmes l'OZ-2I, devenu incontrôlable.
— La force invisible ne vous gêna pas pour atterrir sur Molkar-2 ? s'étonna Gia. Elle n'entrava pas votre fuite ?
— Non.
— Sans doute, conclut Mox, que les auteurs de cette intervention avaient atteint leur but. Car nous avons retrouvé l'OZ-2I. Il est devenu une épave ambulante, dans l'espace, guidée par une force électromagnétique.
Klas s'étonna :
— Et vous êtes passés sans dégât ?
— Le COS-200 possède un champ répulseur.
— Vous avez de la veine. Il y a un moment que nous demandons à la direction de nous changer nos vieux vaisseaux. On nous a répondu que des questions de crédits se posaient, qu'il y avait des priorités.
Le capitaine se leva, marcha un moment dans le dortoir et alla vérifier le fonctionnement du système de production d'air. Rassuré, il revint vers les deux agents du C.S.S.
— Dites donc, je reprendrais volontiers de ces dragées jaunes. Elles ont bon goût. On dirait du poulet.
— Mais c'est du poulet déshydraté et concentré ! apprit Paz.
— Encore une nouveauté ! Notre poulet à nous, il se présente sous forme de poudre et nous sommes obligés de le délayer dans de l'eau.
Ils restèrent encore quelques heures dans l'abri, puis lorsque Klas fut en état de prendre la route, les trois hommes endossèrent leurs scaphandres et se dirigèrent vers les bulles biplaces. Bientôt, les engins abandonnèrent la vallée et regagnèrent le COS-200, posé au milieu de l'immense toundra.
Klas apprécia l'extrême confort du Cos-200 et sa formidable puissance. Un brin de jalousie souleva des regrets en lui :
— Si nous avions eu un engin comme ça, au lieu de notre vieux OZ-2I, j'aurais encore tout mon équipage avec moi.
Puis, lorgnant vers Nadie Gem, il souligna avec ironie :
— Ils embauchent des femmes, maintenant ? Il ne manquait plus que ça ! Entre nous, commandant, elles vous donnent satisfaction ?
— Autant qu'un homme, confia Mox avec sincérité. Et puis, psychologiquement l'adjonction d'un élément féminin est excellente.
— Vous croyez que le moral de vos gars s'en trouve relevé ?
Ten et Gia approuvèrent en souriant. Puis, la visite du vaisseau terminé, Jé posa d'autres questions :
— Nous n'avons trouvé personne dans la carcasse de votre nef accidentée. Vous avez retiré les cadavres de vos compagnons ?
— Oui, dit Klas gravement. Je leur ai donné une sépulture convenable. Ils reposeront désormais sur Molkar-2.
Quelques minutes de silence accompagnèrent cette déclaration. Nul doute, le capitaine de l'OZ-2I avait fait son devoir. Ce qui était arrivé n'était pas sa faute. S'il rentrait un jour sur Ter-7, il aurait un long rapport à rédiger pour la direction, et cette perspective ne l'enthousiasmait pas ; il avait horreur des paperasses.
John Klas avait l'air intelligent et son regard distillait une volonté extraordinaire. Il avait l'impression d'être sorti d'un cauchemar, et pour lui, la réponse à certains problèmes paraissait résolue.
D'ailleurs, il s'en ouvrit franchement :
— Des créatures ont utilisé mon astronef comme appât. Elles ont agi comme si elles voulaient vous attirer sur Molkar-2. Or, qu'y avait-il sur Molkar-2 ? Une nef de secours accidentée, un abri gonflable et un capitaine de pionniers en perdition.
— Bah ! remarqua Mox. De toute façon, notre intention était d'aborder cette planète. Nous vous aurions découvert fatalement.
— Oui. Seulement je crevais de faim. Encore quelques jours et je passais l'arme à gauche. Il faut croire que certains êtres veillent sur nous.
Paz toussa :
— Hum ! Ils ont quand même interrompu vos investigations. Car vous étiez venus dans ce système avec l'intention de l'explorer ?
— Evidemment ! dit Klas. Nous aurions fouillé, analysé, disséqué, prélevé, bref, passé au peigne fin les quatre mondes de Molkar. Or, notre mission ne s'accomplira jamais, car je pense que l'AX-I8 et l'AM-I4 se trouvent aussi en difficulté. Il ne m'a pas été possible de les contacter.
Il endossa son scaphandre et cette attitude surprit Mox :
— Où allez-vous ?
— Suivez-moi donc. Je vais vous montrer quelque chose. Vous n'avez pas tout découvert dans les montagnes.
Jé se tourna vers ses camarades :
— Bon. Je pars avec Klas. Vous restez là.
Il revêtit à son tour sa combinaison étanche, vissa le casque et se dirigea vers la plate-forme d'éjection. Il monta dans une bulle, invita le capitaine à s'asseoir à ses côtés et manipula le système automatique de propulsion.
La bulle s'éjecta. Elle reprit son autonomie à quelques centaines de mètres d'altitude. Survolant la longue plaine désertique recouverte de lichens, Mox hocha la tête :
— Vous croyez qu'ELLES sont ici, sur Molkar-2 ?
— Qui ? Les créatures ? Sûrement pas.
— Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?
John Klas sourit, énigmatique :
— Vous savez, j'ai eu le temps de me faire une idée sur la planète. Nous avions déjà commencé nos investigations, dans des conditions précaires, certes, mais avec enthousiasme, en attendant des secours. Et avant que la nef se casse bêtement la figure, j'avais décodé certaines observations très intéressantes. D'ailleurs, j'ai noté cela sur bandes magnétiques.
— Vous voulez qu'on aille à votre abri ? Car c'est là, je suppose, que sont vos documents.
— Non, conseilla le capitaine. Filez vers les montagnes et survolez la plus haute. Vous serez bien surpris.
De plus en plus intrigué, Jé obéit. Il traversa la plaine, mit le cap vers les cimes. Il augmenta son altitude, constatant qu'elle atteignait trois mille mètres. Puis il plafonna enfin au-dessus du plus haut sommet.
En fait, c'était une sorte de dôme rocheux, aux curieux reflets bleuâtres. Or, quelque chose était posée sur la partie la plus élevée.
Cela ressemblait à un blockhaus cylindrique. Il n'y avait aucune ouverture mais en y regardant de plus près, la coloration des parois se modifiaient. Elle passait alternativement du jaune au blanc, au rouge, à l'orange. Ce n'était pas des couleurs crues mais atténuées par une luminosité étrange se dégageant de la construction.
Celle-ci ne dépassait de terre que de quelques mètres, trois ou quatre au maximum. Elle n'était donc pas visible de très loin et Klas expliqua qu'il l'avait découverte par hasard. Longtemps, il s'était posé des questions sur son origine, sur ses fonctions.
— On peut atterrir sur la plate-forme ? demanda Mox.
— Vous pouvez, acquiesça Klas. C'est sans danger.
La bulle s'abaissa, effectua un passage en rase-mottes pour calculer son lieu d'atterrissage, et, finalement, elle prit contact avec le rocher, tout près du blockhaus.
Jé sortit du cockpit, s'avança, fit le tour de la construction avec intérêt, baigné par la lumière orangée qui se dégageait maintenant du bloc de béton. Il posa sa main gantée sur la paroi, apprécia la dureté du matériau. C'était plutot du métal.
Klas souriait :
— Alors, vous avez trouvé ?
— J'aurais trouvé quoi ?
— A quoi sert ce machin cylindrique.
— C'est vrai, il est parfaitement cylindrique. Et vous, Klas, vous avez trouvé immédiatement ?
— Oh non ! Je me suis cassé la tête. Et puis je me suis dit que ces lumières possédaient une signification. Avec la nef, nous avons survolé plusieurs fois le sommet de la montagne. Nos instruments captaient des impulsions ; il s'agissait de les décoder.
— Vous l'avez fait ?
Le capitaine de l'OZ-2I accusa son sourire :
— Oui. J'ai mis un moment. Mais je m'y connais un peu en physique. J'ai finalement trouvé qu'il s'agissait d'impulsions lumineuses transmises par des cellules photo-électriques. En clair, ça signifie qu'il s'agit d'une sorte de relais de télévision. Je dirais même un relais-espion.
Jé fronça les sourcils. Il regarda sombrement le cylindre luminescent, avec méfiance. C'était le fruit d'une science intelligente, d'un cerveau.
— Qu'est-ce qu'il espionne ?
— Nous, parbleu. En ce moment, par exemple, nos images sont transmises intégralement et filent dans l'espace vers je ne sais quel point lointain. Bien sûr, elles partent d'ici sous forme d'ondes lumineuses mais là-bas, à la réception, elles s'inscrivent sur un écran.
— Vous avez essayé de détruire le cylindre ?
La question étonna Klas :
— Non. Pourquoi ?
— Moi, je n'aime pas être filmé dans le dos. J'ai horreur qu'on m'observe de loin.
Jé tira son polyray de sa ceinture et régla l'indice pour une bonne giclée thermique. Mais c'est en vain qu'il appuya sur la détente. Les ondes caloriques restaient sans effet.
— Mince ! pesta-t-il. Ce machin est indestructible. Ça signifie qu'il possède un champ protecteur.
— Vous êtes déçu, hein ? ironisa Klas.
— Non. Je crois surtout que nous avons affaire à des créatures supérieurement évoluées, dont nous ignorons les buts. Elles nous épient, ne paraissent pas nous vouloir de mal, et pourtant l'OZ-2I a rencontré des difficultés à proximité de Molkar-2. Tout ça paraît contradictoire. En tout cas, il y a une chose certaine : l'AX-I8, comme l'AM-I4, ne répondent pas à nos appels.
Mox lança un regard rageur vers le relais. Il rengaina son pistolet inutile.
— Dire qu'en ce moment, peut-être, nos binettes défilent sur un écran, quelque part sur l'un des quatre mondes de Molkar ! Ça m'irrite.
— Calmez-vous donc, commandant, lança Klas. Vous avez déjà accompli une partie de votre mission. Vous avez retrouvé l'OZ-2I et son équipage.
Il soupira tristement et ajouta :
— Enfin, ce qu'il en reste.
Jé remonta dans la bulle, déterminé. Il se fixait déjà sa prochaine étape :
— Nous partirons cette nuit pour Molkar3. Je veux visiter l'une après l'autre les quatre planètes de ce système. Et je comprendrai enfin pourquoi l'OZ-2I se balade comme une épave dans l'espace, pourquoi des créatures ne veulent pas que nous retournions chez nous.
Klas plissa le front en prenant place dans le cockpit :
— Vous croyez vraiment que la route du retour est coupée ?
Mox ne répondit pas. Il brancha le pilotage automatique et la bulle décolla de la plate-forme. Le relais-espion s'estompa bientôt dans la brume violette.
CHAPITRE III
Le voyage se déroula à la vitesse de la lumière, il dura donc quelques minutes seulement. Pour des distances aussi courtes, il n'était pas question d'utiliser la quatrième dimension. D'ailleurs, ce procédé s'intégrait dans tout un processus extrêmement complexe, automatique, et il fallait que les hommes soient en hibernation. Il n'avait de sens que pour changer de système solaire.
L'ordinateur de bord réduisit la vitesse du Cos-200, donna le feu vert à l'équipage pour qu'il sorte des caissons d'apesanteur. Puis il annonça de sa voix monocorde, impersonnelle :
— Nous sommes à proximité de Molkar-3.
Le panoramique s'éclaira. Il montra une grosse boule violacée en suspension dans l'espace.
Jé s'étira et fit craquer ses jointures :
— Ça paraît la sœur de Molkar-2, grimaça-t-il.
Klas se montrait taciturne. Il ne cessait de répéter qu'il voudrait bien récupérer l'OZ-2I, ne serait-ce que pour ficher le camp et pour rentrer sur Ter-7. La perspective d'attendre le bon vouloir de Mox ne l'enchantait pas.
— Dites donc, Klas, reprocha Jé. Qu'est-ce qu'ils diraient sur Ter-7 s'ils vous voyaient rappliquer tout seul ?
— J'ai fait mon boulot, protesta le capitaine. Ce n'est pas ma faute si mon équipage m'a abandonné. A cause de lui, j'ai failli crever. Alors je ne vais pas lui envoyer des fleurs. J'ai à peine des regrets.
Il affichait sa dureté, son indifférence envers autrui. Les pionniers étaient presque tous des gens comme lui, au cœur de pierre. Il le fallait. Sinon l'aventure n'était plus possible dans le cosmos. La pitié n'avait pas sa place.
Il ajouta :
— Vous en aurez pour longtemps pour retrouver l'AX-I8 et l'AM-I4?
Mox haussa les épaules, ne donna aucune précision. Il n'en savait rien. Cela dépendait de beaucoup de choses. Mais un détail le turlupinait, assaillait constamment ses pensées.
Il l'avoua :
— Nous sommes entrés facilement dans le système de Molkar. Nous aurons des ennuis pour en repartir.
— Voyez-moi ça ! gloussa Klas, ironique. Pessimiste, hein ?
— Non, prudent, rectifia Jé. Nous captons sûrement l'intérêt de créatures intelligentes. Si elles se sont assuré la possession de l’OZ-2I, sans doute appliquent-elles un plan très précis.
L'ordinateur de bord annonça, détournant la conversation:
— Molkar-3. Planète du type D.9. Scaphandre obligatoire. Vents violents à sa surface pratiquement désertique.
Gia poussa un énorme soupir de contrariété :
— Bon. Ce n'est pas là encore que nous respirerons à pleins poumons.
Le Cos-200 entra dans le champ d'attraction de la planète. Les effets de la pesanteur furent immédiatement compensés et bientôt l'astronef survola ce monde nouveau.
Il y avait peu de relief et pas une goutte d'eau. Des plaines immenses s'étendaient à perte de vue, recouvertes d'une sorte de poussière noirâtre, comme de la cendre. Par endroits, une tempête de vent soulevait cette poussière et alors un épais brouillard masquait le sol.
Gia n'appréciait guère ces mondes désolés. Pour lui, il n'existait qu'un type de planète convenable : là où l'homme pouvait respirer sans scaphandre. Mais elles ne foisonnaient pas. Ou alors il fallait chercher loin, toujours plus loin.
On en trouvait. Elles étaient habitées ou pas. Si elles étaient habitées, on les laissait tranquilles. Les responsables de la Grande Conquête de l'Univers obéissaient à un puissant impératif : ils s'étaient jurés de préserver la liberté des autres humanités.
— De toute façon, conclut Paz, c'est cuit pour Molkar. Pas vrai, capitaine ?
Celui-ci plissa le front :
— Cuit ? Pourquoi ?
— Molkar ne fera jamais partie de la Confédération Terrestre, à cause de la race intelligente qui l'habite.
— Probable, admit Klas. Mais pour ça, il faut que la direction possède un rapport détaillé. Et encore, l'idée de la pose d'un relais automatique n'est pas exclue.
Le COS-200 ratissa la surface de Molkar-3. La chose était facile et les immenses étendues offraient un champ d'investigation fantastique. Fatalement, le repérage de l'une des nefs disparues aurait eu lieu un jour ou l'autre, si l'une d'elles s'y trouvait.
Le vent s'était apaisé sur cette partie de la planète. Des vents soufflant à deux cents kilomètres à l'heure. La poussière retombait lentement et à la faveur d'une éclaircie, Nadie Gem repéra l'épave.
Elle reposait dans une sorte de petite dépression ressemblant à un cratère. Il y avait un abri gonflable à côté et le grossissement de l'image montra la présence de plusieurs corps étendus sur le sol.
Jé en compta trois. Cette découverte n'incitait guère à l'optimisme.
— Nous arrivons trop tard, constata-t-il, dépité.
Klas se montrait moins inquiet :
— Ne vous tracassez donc pas, Mox. Il y a peut-être des survivants dans l'abri. En tout cas c'est une nef de secours, comme celle de l'OZ-2I. Ça veut dire qu'ils ont atterri ici en catastrophe.
Le vaisseau elliptique se posa à proximité. Klas, Jé et Ten endossèrent leur scaphandre et l'ascenseur tubulaire les descendit à terre. La pesanteur était légèrement plus forte que sur la Lune.
Ils s'adaptèrent très vite, puis marchèrent vers la nef, en sautillant. Et à mesure qu'ils approchaient, ils avaient la conviction que le véhicule de secours était en parfait état.
Ils s'en rendirent compte bientôt. Klas pénétra dans l'engin, petit astronef miniaturisé, et constata que tout était en ordre. Il ressortit en expliquant :
— Ils ne se sont pas cassé la gueule. La nef est en état de fonctionner.
Roof s'était déjà éloigné de ses compagnons et il atteignait le premier corps étendu sur le sol.
L'homme gisait sur le dos, les bras en croix. Il avait les yeux grands ouverts, fixes, et le casque de son scaphandre était dévissé. Il était mort probablement asphyxié.
Klas et Jé rejoignirent Ten en hâte. Ils s'agenouillèrent auprès du cadavre, se posèrent des questions sur cet accident. Car ce ne pouvait être qu'un accident.
— Son casque était dévissé comme... comme s'il avait voulu l'enlever ! conclut Mox avec étonnement.
— Il n'avait pas à l'ôter, maugréa Ten. Il savait à quoi il s'exposait.
Or, à mesure qu'ils s'approchaient de la tente gonflable, bien abritée des vents dans un creux, ils constatèrent d'autres choses bien plus stupéfiantes. Ils trouvèrent deux corps étendus côte à côte, sans combinaison protectrice. Les deux malheureux étaient probablement sortis de l'abri sans précaution et ils avaient péri étouffés.
Derrière le hublot de son casque, Jé affichait un visage grave. Il ne comprenait pas comment trois hommes avaient pu trouver la mort d'une façon aussi idiote, par manque de prévoyance. Ils étaient pourtant sûrement avertis du danger.
Alors ?
— Quelque chose cloche dans le comportement de ces naufragés. Peut-être trouverons-nous l'explication dans l'abri.
Ils se glissèrent dans le sas avec appréhension. Dans la pièce principale où étaient entreposés les appareils de survie, les vivres et le matériel, les deux derniers membres de l'équipage gisaient le nez contre le sol. Ils avaient aussi cessé de vivre mais eux n'étaient pas morts asphyxiés.
Ils s'étaient tranchés les veines des poignets et ils gisaient dans une mare de sang coagulé.
— Bon Dieu ! remarqua Klas. Ils se sont suicidés, comme les trois autres au-dehors. Qu'est-ce qui leur a pris ?
— Nous ne le saurons sans doute jamais, soupira Mox. A moins qu'il y ait un témoignage quelque part.
Il fureta partout et ne trouva qu'un magnétophone avec une cassette enregistrée. A tout hasard, Jé appuya sur le contacteur. La bobine revint automatiquement au début et une voix jaillit du haut-parleur :
— Ici le capitaine Will Tarky. Je commandais l'astronef-pionner AX-I8. Quand vous arriverez, si quelqu'un arrive ! nous serons tous morts. Parce que nous sommes devenus complètement fous. Nous avions terminé nos investigations sur Molkar-3 et notre mission était de revenir aussitôt sur Ter-7. Nous savions que deux autres vaisseaux exploraient aussi le même système. Chacun avait un but déterminé. Aussi, nous nous portâmes à la périphérie de façon à franchir la zone d'attraction du soleil. Après quoi nous aurions plongé dans la quatrième dimension. Or, alors que nous étions en pleine phase d'accélération, l’AX-I8 fut littéralement happé par un étrange nuage rougeâtre. Nous ne pouvions plus sortir de cette purée de pois qui collait littéralement à nous. Nous comprîmes très vite que les choses se gâtaient. L'enveloppe de notre vaisseau était attaquée par le « nuage ». Comme un monstrueux leucocyte, celui-ci digérait notre astronef. Devant l'ampleur des dégâts, irréparables, nous décidâmes l'abandon de l'AX-I8. Détail troublant, le nuage laissa passer notre véhicule de sauvetage, d'ailleurs nullement équipé pour échapper à l'attraction solaire. Nous nous retrouvâmes dans l'espace et nous remîmes le cap sur Molkar-3, planète que nous connaissions bien.
« De retour ici, nous eûmes la certitude que nous ne pourrions jamais quitter le système solaire de Molkar. Nous tentâmes vainement d'appeler les autres vaisseaux, L’OZ-2I et l'AM-I4. Personne ne répondit et ce mutisme prouva que les autres étaient dans la même situation que nous. Mes gars ne purent pas supporter cette idée. Au bout de quelque temps, ils devinrent fous. Ils se suicidèrent les uns après les autres. le restai seul, mon dernier compagnon s'étant ouvert les veines alors que je dormais. Comme je refuse moi aussi l'épouvantable agonie qui nous guettait, j'ai décidé de suivre mes camarades dans la mort. Mais avant, j'enregistre ce message. Si quelqu'un le trouve et l'écoute, qu'il nous pardonne tous. Le nuage rouge, dans l'espace constitue une barrière infranchissable. Vous m'écoutez peut-être, mais vous serez définitivement prisonniers de Molkar.
La bande continuait à se dérouler et il n'y avait plus rien d'enregistré. Jé arrêta le magnétophone, contempla les deux hommes allongés sur le sol. Lequel était Will Tarky ?
Klas et Ten, figés, ressemblaient à des blocs de pierre. Ils ne mettaient pas un moment en doute la parole du capitaine de l'AX-I8. N'y avait-il vraiment aucun espoir de rentrer sur Ter-7?
- :-
Jé ramena la fameuse bande enregistrée par Tarky et il la fit écouter à ses camarades.
Nadie, Gia et Roof eurent des réactions diverses. Par exemple, Gia se tapota le ventre en riant :
— C'est du bidon cette histoire ! Tarky a voulu expliquer à sa façon sa mort et celle de ses compagnons. Il y a eu une rébellion à bord de l'AX-I8, voilà tout.
— Et toi, Ten ? demanda Mox.
Le mécano hésita. Il se caressa doucement le menton :
— Moi, vous savez, je n'ai pas d'opinion. Il n'y a pas de preuves pour, ni de preuves contre.
Nadie Gem avait une idée différente. Elle avait longuement réfléchi après l'audition de la bande magnétique. Elle constatait qu'il y avait eu cinq morts. Il ne s'agissait donc pas d'un message lancé à la légère.
— Ils ont sûrement eu de graves ennuis à bord de l'AX-I8. Des gars de la trempe des pionniers ne se suicident pas pour des futilités. Il faut donc admettre qu'ils avaient des motifs sérieux.
Klas haussa les épaules. Le cas était épineux. Dans une situation analogue, il se demandait ce qu'il aurait fait. Il y avait évidemment plusieurs solutions.
— Je connaissais vaguement Tarky, expliqua-t-il. Nous nous rencontrions au hasard des escales. Je vous assure que c'était un homme qui n'avait pas froid aux yeux. Le danger ne l'effrayait pas. Seulement, depuis quelque temps, il vieillissait et la direction l'avait déjà averti qu'un jour ou l'autre elle lui retirerait le commandement de son vaisseau.
— Quel âge avait-il ? s'informa Nadie.
— Quarante-cinq ans.
— Et on est déjà vieux, à cet âge ?
— Oui, quand on a la responsabilité d'un astronef, soupira tristement Klas.
Il cita l'exemple de sa propre carrière et ajouta :
— Dans cinq ans, ou dans six, je devrai prendre ma retraite et céder la place à un plus jeune. C'est comme ça chez les pionniers.
Mox ramena la conversation vers un pôle plus intéressant. La situation nouvelle créée par la découverte faite sur Molkar-3 exigeait une décision imminente.
— Reparlons de Will Tarky, voulez-vous ?
Le capitaine de l'OZ-2I toussa :
— Eh bien, comme je le disais, Tarky n'avait pas froid aux yeux. C'était peut-être sa dernière mission comme commandant d'astronef. Alors il a mis le paquet. Il a tiré le maximum de Molkar-3, réuni un tas d'informations, et battu de vitesse ses concurrents.
— Vous parlez de l'AM-I4 et de vous ?
— Oui. Nous étions trois pour l'exploration de Molkar. Trois pour quatre planètes. La direction voulait aller vite dans ce secteur. Je crois que Tarky était bien le premier sur le chemin du retour. Il aurait gagné une prime s'il était rentré sur Ter-7 en avance sur les autres.
— Bref, résuma Jé, vous croyez à son suicide et à celui de son équipage ?
— Sûr, j'y crois. Pourquoi mettez-vous sa parole en doute ?
Mox réenclencha le magnétophone. La bande enregistrée se redéroula et nos amis furent gratifiés d'une nouvelle diffusion. Ce n'était pas par hasard que Mox insistait. Il savait que Klas connaissait Tarky mieux que personne.
Ils écoutèrent donc la confession d'un homme voué à la mort, au milieu d'un silence religieux. Puis quand la seconde audition fut terminée, Jé chercha des détails :
— Vous avez entendu : Un nuage rougeâtre a « digéré » littéralement l'AX-I8. Comme un monstrueux leucocyte, précise Tarky. Il est bien certain que nous sommes obligés de vérifier.
Une frayeur incoercible voila les yeux de Nadie Gem. Prise de panique, elle crispa ses poings et les amena sous son cou. Son cœur battait très fort.
— Jé... Tu ne vas pas précipiter le Cos-200 dans une dangereuse aventure ? Nous avons besoin de lui pour rentrer sur Ter-7.
Klas se grattait les ongles avec un couteau. Il hocha la tête :
— Elle a raison votre navigatrice. Vous courrez au suicide.
Mox sourit, confiant :
— Ne craignez rien. Je ne confierai pas le COS-200 au fameux nuage glouton. J'ai un autre moyen pour le tester.
— Lequel ? dit John Klas.
Jé ne répondit pas. Il se dirigea vers le tableau de commandes, mit en route les moteurs photoniques et assura un décollage parfait.
Molkar-3 décrut très rapidement sur le panoramique et sa luminosité fut bientôt absorbée par celle du soleil. Le vaisseau fonçait maintenant à une vitesse terrifiante et s'approchait de la zone d'attraction de ZM. 17 X, à la périphérie.
Tous les regards étaient angoissés. L'ordinateur de bord braquait constamment ses antennes dans l'espace et soudain il annonça :
— Je détecte une masse électronique qui doit normalement couper notre trajectoire. Elle se déplace aussi rapidement que la lumière.
Gia, qui ne croyait pas à l'histoire de Tarky, se précipita vers l'ordinateur furieux :
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— La vérité, dit le robot. D'ailleurs, observez le panoramique. Vous verrez que je ne me trompe pas.
Nadie avait éclairé l'écran. Là, au beau milieu, encore à des milliers de kilomètres, naviguait une sorte de nuage rougeâtre, mouvant, aux pseudopodes tentaculaires.
On aurait dit, en effet, un leucocyte géant.
- :-
A bord, il y eut un bon moment de panique. Puis Jé calma ses camarades. Il avait son plan et pour rien au monde il ne voulait sacrifier le COS-200, seul garant de leur retour sur Ter-7.
Il désigna la « Chose » informe sur l'écran :
— En tout cas, Will Tarky avait raison. Mais je veux quand même m'assurer que ce machin est aussi glouton que le prétend le capitaine de l'AX-I8.
Klas croisa les bras sur sa poitrine et défia Mox. Il lança un regard hautain :
— Vous mettez encore en doute la parole de mon confrère ? A votre place, je foutrais le camp d'ici en vitesse, sinon, dans cinq minutes, nous serons obligés d'utiliser la nef de secours de votre vaisseau. Si c'est ce que vous voulez, vous réussirez.
Jé haussa les épaules. Il avait décidé de ne demander l'avis de personne. Après tout, il commandait à bord et avait le droit de faire ce qu'il voulait. En tout cas, il ne prenait jamais de risques inutiles.
Il immobilisa le COS-200 et vérifia que la distance entre celui-ci et le nuage rouge ne se rapetissait pas. Cela signifiait que le « leucocyte » géant ne cherchait pas forcément à engloutir sa proie.
Mox agissait avec sang-froid, lucidité. Il ne cherchait surtout pas à traverser la « barrière », c'est-à-dire cette zone extra-périphérique qui entoure tout système solaire et qui nécessitait, pour son franchissement, une vitesse d'éjection fantastique capable de contrebalancer les effets de l'attraction.
Devant son pupitre de commandes, il repérait des boutons. Avant d'enfoncer l'un d'eux, il interrogea l'ordinateur :
— Distance du nuage ?
— Deux cent vingt mille kilomètres, apprit instantanément le robot.
— Trajectoire ?
— CM. 4 BK. 12.
— Merci, mon vieux. Tu es un amour. Sans toi, je me demande ce que nous ferions.
Jé orienta un tube éjecteur vers le point indiqué. Il régla les curseurs de son écran de mesures et appuya franchement sur une touche.
Le panoramique s'éclaira d'une lueur fulgurante, sorte de trait de feu qui très rapidement s'amenuisa et s'éteignit.
Mox expliqua :
— J'ai envoyé un satellite artificiel vers le nuage. Ce satellite dispose d'une accélération suffisante pour échapper à l'attraction du soleil. Si tout se passe bien, il devrait se trouver dans l'espace interstellaire dans un peu moins de cinq minutes.
Ces cinq minutes furent longues. Très longues. Nadie Gem opéra le grossissement maximum sur le panoramique et celui-ci montra alors quelque chose d'extraordinaire.
Le nuage rouge se déplaçait à une vitesse fantastique, comme attiré vers le satellite. Bientôt, il coupa la route à celui-ci, le noya dans une sorte de vapeur. Tous deux poursuivirent ainsi leur voyage, collés l'un à l'autre.
A l'intérieur du nuage, on discernait très bien le point extrêmement lumineux formé par le mobile lancé depuis le COS-200. Mais les appareils de contrôle donnaient des chiffres peu encourageants.
— La vitesse du satellite diminue, constata Gia, stupéfait. Pourtant, nous n'avons plus aucun effet sur lui. Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire, soupira Jé, que notre machin artificiel n'échappera jamais à l'attraction de Molkar pour des raisons que nous ignorons encore. Bien mieux...
Il s'interrompit, accaparé par la scène qui se déroulait sur l'écran. Une scène fantastique, incroyable.
Le petit satellite se diluait progressivement dans l'espace. Ses contours s'estompaient. Il perdait sa matérialité et devenait impalpable, comme s'il fondait sous l'effet d'une chaleur terrifiante.
Or, les enregistreurs logés dans la masse du petit engin ne notaient même pas une augmentation de température.
Le nuage rouge se retirait maintenant avec précipitation, laissant le vide derrière lui. Il se réfugiait sans doute dans quelque coin de l'espace, à l'affût d'une nouvelle proie qui tenterait de franchir la barrière.
A bord du COS-200, les visages étaient livides, le moral à zéro. Même Klas, pourtant endurci par ses années de pionnier, ne parvenait pas à comprendre. Il était lui aussi atterré, conscient qu'un immense danger menaçait tous les astronefs si ceux-ci voulaient quitter le système solaire de Molkar.
— Nous sommes coincés ! glapit Gia.
Il prit Jé à témoin :
— Tu te rends compte ! Suppose que notre vaisseau se soit trouvé à la place du satellite. Il se faisait digérer comme un microbe. Car Tarky semble avoir raison...
— Ah ! Vous changez d'avis ? ironisa Klas.
Paz reconnaissait toujours ses torts. Il s'excusa :
— Les preuves m'ont convaincu. Que faudrait-il de plus ! Je constate que le nuage a dévoré notre engin artificiel.
— Oui, remarqua Roof. Mais il n'a pas attaqué le COS-200. Or, nous étions « à portée », car je pense que cette entité fluidique va aussi vite que nous.
Ce détail retint tout particulièrement l'attention de Mox :
— Ten a raison. Nous aurions pu subir le sort du satellite. J'ai seulement testé les possibilités du nuage. Elles sont probantes. Nous sommes encore en vie grâce à plusieurs circonstances. D'abord, nous n'avons jamais pénétré dans la zone d'attraction. Ensuite, le nuage nous a négligés. Or, nous étions un appât tentant. En conséquence, je pense que nous ne risquons rien si nous nous tenons hors d'un certain secteur et si nous ne cherchons pas à quitter le système de Molkar.
Nadie lança à Jé un regard effrayé. Elle semblait très affectée par ce qu'elle avait vu :
— La route du retour paraît coupée. Pourquoi ?
Mox haussa les épaules :
— Nous serons bien obligés de le savoir si nous voulons sortir de cette prison que constitue dorénavant Molkar. Nous avons tout le temps pour réfléchir. Souvenons-nous de l'accident survenu à l'AX-I8. Tarky racontait que le nuage n'avait pas empêché leur fuite à bord de la nef de secours. Donc, la barrière s'ouvre et nous permet d'entrer. Mais elle se referme derrière nous.
Klas gloussa, vautré sur un siège :
— J'appellerais ça la Grande Barrière. Car je suppose qu'elle fait le tour complet du système. Il n'y a pas une fenêtre par où nous pourrions nous échapper. Il y aura toujours devant nous l'un de ces fichus nuages rouges pour nous interdir le passage.
— La Grande Barrière..., répéta sombrement Mox. C'est pas mal comme appellation. En tout cas c'est bien dans le ton. Elle est infranchissable. Molkar devient un vrai cimetière d'astronefs. Si nous demandions du secours à Ter-7, nous serions mal inspirés. Tous les vaisseaux qu'enverrait le colonel Zolos seraient à leurs tours prisonniers dans cette gigantesque nasse qu'est devenu ce système planétaire.
Ten réfutait l'abandon, le découragement. Il en avait vu d'autres, avec Jé, au cours de sa carrière. Ils avaient défié le Temps. Ils avaient pénétré dans une cellule humaine (1). Il leur était arrivé un tas d'aventures extraordinaires desquelles ils étaient toujours sortis. Mais bien sûr, chaque aventure ne ressemblait pas à la précédente.
Il galvanisa ses camarades :
— Secouez-vous, les gars. Nous ne rentrerons jamais sur Ter-7 si vous baissez pavillon. Il faut se battre !
Gia laissa retomber mollement les bras le long de son corps. Il pensait que finir ses jours sur Molkar n'était pas drôle du tout.
— Tu oublies une chose, Ten, soupira-t-il. Le satellite artificiel envoyé par Jé possédait un champ protecteur, comme le COS-200. Cela ne l'a pas empêché d'être digéré. Après ça, comment veux-tu que nous ayons le moral au beau fixe ?
Le nuage rouge avait disparu dans l'espace. Mox obtura le panoramique à l'aide du rideau et il enclencha les moteurs photoniques.
— J'ai envie de voir ce qu'il y a sur Molkar-I, la seule planète où l'on trouve de l'oxygène, paraît-il. Tôt ou tard, il nous faudra découvrir le secret de la Grande Barrière.
(1) Voir a Prisonniers du temps » et a Cellule 217 », même auteur, même collection.
CHAPITRE IV
— Elle a meilleure gueule que les autres ! lança Gia avec une grimace en contemplant Molkar-I sur l'écran.
La planète était légèrement bleutée, ce qui signifiait que son atmosphère possédait de l'oxygène. L'ordinateur analysa très rapidement le mélange gazeux et déclara que les proportions étaient légèrement différentes que sur Ter-7. Il y avait moins d'oxygène, plus d'azote.
Bref, avec une certaine accoutumance, cela n'empêchait pas les hommes de respirer sans scaphandre. Mais certaines précautions s'imposaient.
L'ordinateur les rappela :
— Efforts physiques interdits. Il est conseillé de veiller à une respiration régulière...
— Taratata ! coupa Gia avec mauvaise humeur. Tu es une brave mère poule et tu as été fabriqué pour ça. Mais à notre âge, nous savons quand même nous débrouiller tout seuls !
Le robot ne se vexa pas, dit tout ce qu'il avait à dire, et ajouta à l'adresse de Paz :
— Mon devoir est de vous mettre en garde chaque fois que je le peux. D'énormes quantités d'informations ont été programmées dans ma mémoire. Elles sont là pour vous aider. Ne les méprisez pas.
Gia haussa les épaules, éteignit l'ordinateur et grommela :
— Vous l'entendez, celui-là ? Il nous couve. Or, ce n'est qu'une machine après tout.
Jé éclata de rire :
— Sans lui, le Cos-200 serait comme un corps sans âme. Sa présence est rassurante. Alors je t'en prie, Gia, traite-le comme un collaborateur.
— Tu veux pas que je lui fasse des excuses, non ? rétorqua Paz avec une grimace.
Nadie avait placé le vaisseau sur une orbite circulaire, à huit cents kilomètres d'altitude. Grâce aux instruments grossissants, on apercevait des traces de végétation sur le sol. Il y avait des arbres, des mers, des rivières. Bref, c'était une planète accueillante.
Les choses sérieuses semblaient commencer. Mox résuma :
— Nous sommes à peu près certains que les nuages rouges ne viennent pas de Molkar-I. Mais par contre, les créatures qui nous épient pourraient bien habiter sur ce monde.
Des images grossies défilaient sur le panoramique. Des plaines succédaient à des montagnes enneigées. En aucun endroit il n'y avait trace d'une civilisation.
Cela ne signifiait rien et Jé l'expliqua :
— Ne vous fiez pas aux apparences. Il se tourna particulièrement vers le capitaine de l'OZ-2I :
— Klas... Vous avez déjà vu bien des choses dans votre carrière.
— En effet, grommela le pionnier.
— Chaque type d'humanité, n'est-ce pas, possède ses conceptions de la vie, ses méthodes de développement, et elles ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres.
— Sans doute, approuva Klas du bout des lèvres.
— En conséquence, une vie intelligente peut se matérialiser par différents moyens. Il y a celle qui étale ses réalisations au grand jour, et puis celle qui se cache, parce que le fait de vivre sous terre ne l'incommode pas.
Nadie se décourageait devant les images défilant sur l'écran. Son visage se crispa légèrement de déception :
— Pas une ville, pas une cité de surface...
— Oui, mais sous l'eau, sous la terre ? remarqua Roof. Comment savoir ?
Klas émit alors cette hypothèse stupéfiante :
— Si, au fond, le système de Molkar était inhabité ?
— Vous plaisantez, capitaine ! dit Mox, convaincu du contraire. Je ne parle pas seulement des nuages rouges de la Grande Barrière, mais du relais-espion sur Molkar-2. Vous l'oubliez ?
— Oh non ! je ne l'oublie pas. Seulement ça ne signifie pas obligatoirement que ce machin ait été installé par des créatures venues de ce système solaire.
— Ah ! Parce que vous pensez qu'elles viendraient d'ailleurs ?
John Klas dessina abstraitement une sorte de sphère avec ses mains. Il agrandit son geste et déclara :
— L'Univers est immense. Nous sommes seulement au début de sa conquête.
Gia se penchait sur différents appareils. Il désigna des points lumineux sautant sur un écran :
— Regardez !
Jé se figea. Il interprétait mal les signes car ce n'était pas son rayon. A bord du COS-200, chacun avait sa spécialité.
— Eh bien ? demanda-t-il.
Paz poussa un soupir :
— J'ai déjà enregistré ce genre d'impulsions sur Molkar-2. Elles proviennent d'un relais. Il s'agit d'ondes chargées d'images.
Mox sursauta :
— Tu peux localiser l'émetteur ?
Gia tourna des boutons, effectua des réglages. Des curseurs coururent sur des règles graduées, automatiquement, et s'arrêtèrent sur des chiffres précis qu'il suffisait de décoder.
— C'est fait.
Il ajouta :
— C'est sur la montagne la plus haute.
— Eh bien ! décida Mox, allons-y !
Il chargea l'ordinateur de conduire le COS-200 à l'endroit repéré. Le vaisseau rompit son orbite, glissa sur les hautes couches atmosphériques, et pénétra dans une zone très nuageuse.
Quand il émergea de cette purée de pois, le ciel était presque bleu. Une chaîne de montagne se détachait à l'horizon et l'astronef se posa au fond d'une vallée. L'ordinateur avait déterminé que le sol pouvait supporter sans danger le poids colossal de l'engin grâce à un sondage par micro-ondes.
Les montagnes ressemblaient à celles de Ter-7. Certaines portaient des arbres comme des conifères. D'autres n'étaient que du rocher. Mais une couronne de neige ceinturait les plus hauts sommets, dont le plus élevé culminait à cinq mille mètres.
— Venez donc avec moi, Klas, invita Mox.
Les deux hommes montèrent dans une bulle et s'éjectèrent. Ils se dirigèrent vers la plus haute crête et quand ils la contournèrent, ils constatèrent effectivement qu'elle supportait un petit édifice cylindrique.
Nul doute, le relais était le même que sur Molkar-2, mais il était entouré de neige. La bulle virevolta un moment et se posa finalement sur la plate-forme sommitale.
Klas et Mox avaient revêtu une chaude combinaison car la température était largement inférieure à zéro. L'apport d'un masque à oxygène s'avérait indispensable à cette altitude.
— Comment diable ont-ils amené les matériaux jusque-là ? dit Jé avec étonnement.
Le capitaine de l'OZ-2I devint philosophe :
— Pourquoi vous cassez-vous la tête ? Nous constatons la présence de ce relais, un point c'est tout.
— Un relais comme sur Molkar-2, vous êtes d'accord ?
— Je suis d'accord.
— Alors ne mésestimons pas une race qui peut construire deux choses analogues sur deux planètes différentes. Cela signifie qu'elle est obligatoirement intelligente et possède une civilisation avancée.
— Mais, Mox, remarqua Klas, je n'ai jamais soutenu le contraire !
Ils rentrèrent à bord du COS-200, informèrent Gia, Ten et Nadie de leurs investigations et Jé ajouta :
— A la rigueur, le site pourrait convenir à l'installation d'une base. Mais en tout cas, la planète n'est pas aussi jolie que Drod-5.
— Drod-5 ! répéta Gia avec extase, l'œil levé au plafond. J'espère qu'ils en feront Ter-8.
Il évoqua le monde de paradis, tiède, à la végétation merveilleuse, qu'il avait connu au cours de sa dernière aventure (1). Ça, oui, c'était une planète pour les hommes !
— De toute façon, conclua Paz, l'Exploration Spatiale décidera ce qu'elle fera de Molkar. Nous n'avons pas à nous mêler de ces choses.
Klas ricana :
— Encore faut-il que des informations parviennent à l'Exploration ! Vous oubliez trop vite notre situation quasi désespérée. Car comment comptez-vous franchir la Grande Barrière ?
(1) Voir « Le secret des cyborgs « , même auteur, même collection.
Mox comprit que si la conversation se poursuivait sur ce ton, ses camarades risquaient d'être découragés. Il tenait à conserver à ses amis un moral intact. Aussi il enchaîna rapidement :
— Nous n'avons toujours pas retrouvé l'AM-I4. Or, tout astronef en détresse émet automatiquement un signal radio que nous aurions capté.
Le capitaine de l'OZ-2I broyait vraiment du noir :
— Le signal est efficace si le vaisseau n'est pas amoché. Mais s'il s'écrase, par exemple, ou s'il explose, faites-moi confiance ! Vous pouvez toujours brancher votre table d'écoute. Alors ne dites pas à moi que ce système est valable à cent pour cent.
Jé soupira :
— Vous êtes désespérant, Klas. Parfois, vous feriez mieux de ne pas ouvrir la bouche.
Le capitaine se raidit. Ses traits se crispèrent et eurent un léger mouvement de colère.
— Vous savez, si vous ne m'aviez pas recueilli. je serais aussi devenu fou, comme Tarky. Ça ne vous est jamais arrivé de perdre votre astronef ? Je ne vous le souhaite pas. C'est terrible, éprouvant.
Gia prenait presque parti pour le pionnier. Il remarqua :
— Klas a raison. Qui prouve que l'AM-I4 ne s'est pas volatilisé, écrasé quelque part, sur Molkar-4 par exemple ? Ou bien tout simplement a-t-il subi le sort de l'AX-I8.
— Et son équipage ? riposta Mox, les dents soudées.
— Il n'est pas forcé d'avoir autant de chance que celui de l’AX-I8, dit Paz avec assurance. Car, au fond, ils ont eu de la veine de sortir intacts du nuage...
A ce moment, Nadie Gem poussa un petit cri. L'ordinateur venait de révéler qu'il détectait quelque chose d'insolite et qui approchait de Molkar-I.
La jeune fille braqua les appareils. Des compteurs crépitèrent, des écrans s'allumèrent et toute une foule d'impulsions étranges agitèrent des palpeurs.
Enfin, le panoramique capta une image. C'était celle d'un nuage rouge.
- :-
— Branle-bas de combat ! hurla Mox dans la cabine centrale.
Nadie Gem, Gia et Ten disparurent comme par enchantement, rejoignant hâtivement les postes respectifs. Ils avaient répété cent fois ce qu'ils devaient faire en cas d'alerte, aussi ils n'étaient pas pris au dépourvu.
Roof braqua les tubes désintégrateurs :
— Paré, Jé.
Nadie vérifiait le champ d'ondes protecteur du COS-200. Elle assura que tout allait bien de ce côté. Quant à Gia, il tentait vainement d'accrocher un son dans l'espace. Celui-ci restait silencieux.
Mox parut satisfait. Il lança à l'adresse de Roof :
— Ne tire que sur mon ordre.
Klas observait tous ces préparatifs avec amusement. Il semblait décontracté. Il était assis sur un siège et il avait posé ses pieds sur une table. Un sourire moqueur figeait ses lèvres.
Cette attitude énerva Mox :
— C'est tout l'effet que cela vous produit, capitaine ?
Celui-ci hocha la tête et ne bougea pas :
— Vous ne croyez quand même pas désintégrer le nuage rouge ?
— Pourquoi pas ?
— Les gars de l’AX-I8 ont dû lui tirer dessus avant de filer dans la nef de secours. Je veux dire, avec leurs pistolets. Car nos astronefs n'ont pas de tubes lance-rayons, eux. Il n'empêche que Tarky ne parle même pas de cette histoire. Ça signifie que c'était un échec.
— Je vais quand même essayer, marmonna Jé entre ses dents.
— Comme vous voudrez, soupira Klas. Mais à votre place, je laisserais ce machin tranquille s'il ne vous attaque pas et je ne le provoquerais pas.
Quelques minutes passèrent. Sur l'écran, le nuage rouge paraissait s'éloigner et l'ordinateur le confirma. Nos amis virent disparaître avec soulagement ce monstrueux leucocyte qui déployait des pseudopodes tentaculaires dans toutes les directions, comme s'il cherchait une proie.
En fait, le COS-200 ne l'intéressait pas. Il ne l'avait pas vu ou il avait repéré une autre victime. En tout cas il filait en direction du nord, survolant un océan agité par un vent violent.
Intrigué, Mox décida de suivre le nuage. Le vaisseau décolla du fond de la vallée, prit une certaine altitude, et mit à son tour le cap vers le nord.
Cette initiative déplaisait à Klas :
— Vous faites une connerie, Mox. Elle se retournera contre vous.
— Désolé de vous contredire, riposta Jé, mais je suis le commandant et c'est moi que ça regarde. Je tiens absolument à en apprendre davantage sur ces mystérieux nuages rougeâtres. Nous pensions qu'ils « naviguaient » dans la zone extra périphérique du système de Molkar. Or, l'un d'eux tout au moins a quitté l'espace pour plonger dans une atmosphère. Il n'est sûrement pas venu sur Molkar-I pour rien.
Il interrogea l'ordinateur :
— Tu suis toujours la trace du nuage ?
— Oui, répondit le robot.
— A quelle vitesse se déplace-t-il ?
— Il paraît moins à l'aise qu'en apesanteur. Il file à quatre ou cinq mille kilomètres à l'heure seulement et plafonne à trois mille mètres. Il ne varie pas de sa route.
— Comme s'il était attiré par quelque chose, hein ? suggéra Paz.
— Je n'en sais rien, dit le robot. Je ne suis pas chargé de faire des suppositions.
— Evidemment ! grommela Gia. Je me demande à quoi tu sers !
Il coupa l'ordinateur et il contempla le nuage redevenu visible sur l'écran :
— En somme, nous pourrions facilement rattraper ce machin rougeâtre et l'abattre.
— L'abattre, ce n'est pas sûr ! conclua Mox avec prudence. Je compte surtout savoir où il va.
— Il y en a peut-être d'autres dans le coin, glissa Ten en grimaçant. Est-ce qu'ils viendraient de Molkar-I ?
— J'ignore d'où ils viennent, dit Jé. Mais je constate qu'ils forment une barrière autour de ce système solaire. Pour les vaincre, il faut comprendre pourquoi ils nous retiennent prisonniers.
Gia s'épongea le front :
— Tu comptes le leur demander ?
— Peut-être, confia Mox en jetant sur l'écran un regard mystérieux. Comme notre vaisseau reste le seul garant de notre retour sur Ter-7, il est normal que j'agisse avec précaution. Aussi je ne veux pas me lancer dans une aventure les yeux fermés.
— Je vois que vous écoutez mes conseils, gloussa Klas, satisfait.
Le commandant haussa les épaules :
— Détrompez-vous, je suis ma propre intuition et je connais mon métier.
Le nuage traversa ainsi l'océan. Il s'étendait sur plusieurs centaines de mètres carrés et il avançait comme poussé par le vent. En réalité, il devait avoir sa propre énergie propulsive car dans l'espace les vents n'existaient pas. Et pourtant, il se déplaçait aussi vite que la lumière !
En approchant de la côte, il perdait progressivement de l'altitude. Il rasa bientôt la surface des vagues. Il ressemblait à un nuage gonflé de pluie, comme on en rencontre sur Ter-7, à la seule différence qu'il était rouge.
Une crainte tourmenta Nadie :
— S'il se sent suivi et qu'il nous attaque ?
Jé avait tracé son programme :
— Eh bien ! nous nous défendrons avec nos moyens ! Il n'y a pas d'autres solutions.
— Si, la fuite, estima Klas. J'ai la conviction que ces saloperies ne sont pas à leur aise dans une atmosphère et qu'en conséquence elles perdent une grande partie de leur vélocité. Plutôt que de rechercher un combat à l'issue incertaine, mieux vaudrait se tirer en vitesse. Ça n'a rien de déshonorant.
Le COS-200 survolait maintenant le nuage et il avait atteint la rive. Une côte très rocheuse attendait les vagues et découpait une large baie. L'eau écumait contre les récifs. Il n'y avait pratiquement pas trace de végétation à plusieurs kilomètres à la ronde. Ce n'était que falaises et rochers.
Jé immobilisa le vaisseau à deux mille mètres de hauteur. Le panoramique renvoya des images très précises du sol et, soudain, Nadie Gem poussa un petit cri de surprise.
Elle tendit la main vers l'écran :
— Regardez donc ! C'est là que se termine le voyage du nuage...
Une sorte de large cheminée d'aération dépassait de terre et il semblait bien, au premier examen, que cette cheminée n'était pas naturelle, qu'elle avait été construite par une intelligence.
Lentement, le nuage rouge s'engouffra par cette ouverture. Il s'engloutit complètement, comme aspiré.
La scène intrigua nos amis. Klas émit le premier une hypothèse :
— Ces saloperies rentrent chez elles et n'habitent pas l'espace. Vous croyez que c'est des créatures ?
— Vous allez vite en besogne, murmura Mox. Comment des créatures pourraient-elles vivre indifféremment dans l'espace ou dans une atmosphère ?
Les hommes attendirent un long moment, mais comme le nuage ne réapparaissait pas, Jé décida de poser le COS-200 à proximité. Il choisit une longue bande de terrain rocheux, abritée des vents.
Le lourd vaisseau prit contact avec le sol. Les moteurs moururent dans un râle et l'ascenseur tubulaire déposa les passagers à terre.
Quelque chose inquiétait pourtant Jé :
— Ils ont dû nous repérer, s'ils existent.
— Qui ça ? demanda Klas.
— Les êtres qui habitent Molkar-I, ceux qui ont installé des relais-espions sur toutes les planètes de leur système. Vous ne pensez quand même pas que les nuages sont intelligents ? Il y a donc forcément d'autres créatures.
Klas amena ses mains ouvertes à hauteur de son visage. Il fit une grimace et confia :
— Moi, je ne pense rien. Mais au cours de ma carrière, j'ai vu des tas d'intelligences à forme bizarre. L'Univers n'est pas peuplé que de créatures ressemblant à l'homme, loin de là. Et on n'est pas forcément obligé d'être humanoïde pour avoir un cerveau développé.
Comme la nuit n'était pas loin de tomber, Mox voulut voir la cheminée de plus près. Il partit seul, en bulle, et se posa près de la construction qui ressemblait à un gros tuyau cylindrique en métal.
Elle dépassait du sol d'une dizaine de mètres. Il était trop tôt pour en deviner l'usage, mais Jé se promettait déjà d'explorer ce cylindre.
Il aperçut une autre bulle dans le soleil couchant et il reconnut le capitaine de l’OZ-2I.
— Vous me suivez, Klas ?
Celui-ci sortit du cockpit et rejoignit Mox :
— Oui. Je voudrais vous empêcher de faire des bêtises.
Il tapota avec ses mains les parois de la cheminée. C'était sûrement du métal.
— Hein, vous avez envie de fourrer votre nez là-dedans ?
— Ma foi..., toussa Jé. Pas vous ?
— Si. Je vous propose que nous allions voir ensemble. Mais à une condition.
Jé fronça les sourcils :
— Laquelle ?
— Que vous cessiez de me prendre pour un incapable ou un indifférent. J'ai parfaitement conscience de notre situation.
Mox se dérida. Il tendit franchement la main au capitaine :
— Je ne voulais pas vous vexer, Klas. J'accepte que vous veniez avec moi. Les autres nous attendront à bord.
— Est-ce que ça vaut la peine de rentrer ?
— Non. Mais je vais prévenir mon équipage.
Jé retourna à sa bulle, se mit en contact télévisé avec le COS-200. Il aperçut le visage rondelet de Gia sur son petit écran récepteur :
— Klas et moi, nous allons examiner la cheminée. Je vous demande de ne pas bouger du vaisseau, et même de partir à la moindre alerte. Il ne faut pas que vous restiez pour nous.
Paz ouvrit la bouche comme un poisson qui sort de l'eau. Il s'étonna :
— Tu fais équipe avec Klas ? Et nous, alors ? Le capitaine n'est qu'un naufragé, qui est sous notre responsabilité...
— Ecoute, Gia. Klas est un homme de qualité. Si je le tiens à l'écart, il se vexe. En tout cas n'oubliez pas mes consignes : filez au moindre pépin !
— Tu ne veux vraiment pas que j'aille avec toi ? insista Gia.
— Non. La sécurité du vaisseau exige ta présence, comme celle de Ten et de Nadie. Ne discute pas mes ordres, bon sang !
— Bien, Jé...
Celui-ci coupa la communication avec le COS-200. Quand la nuit fut complètement tombée, il s'équipa d'une ceinture anti-gravitée.
— Vous en trouverez une dans votre bulle, dit-il à Klas. Et puis n'oubliez pas non plus un polyray.
Comme le capitaine haletait, il s'inquiéta :
— Ça ne va pas ?
— Si, confia Klas, reprenant son souffle. J'ai fait des mouvements trop brusques et je paye cette demande accrue d'oxygène. Nous ne sommes pas sur Ter-7.
— Bah ! remarqua Mox. Encore heureux qu'on puisse se passer de scaphandre. C'est quand même plus agréable.
Le pionnier de l'OZ-2I boucla à son tour sa ceinture anti-gravité. Puis il hocha la tête :
— J'espère que leurs relais-espions sont hors circuit pendant la nuit. Ça nous avantagerait en ce sens qu' « ils » ne nous voient pas.
— Nous n'avons pas le choix, soupira Jé. Qu'ils nous voient ou pas, nous allons examiner cette cheminée. Vous êtes prêt, Klas ?
Celui-ci glissa un polyray dans un étui. Il acquiesça :
— O.K. !
Les deux hommes appuyèrent doucement sur le bouton de leur ceinture antigravifique. Aussitôt, ils se sentirent soulevés du sol et montèrent lentement le long du cylindre de métal.
Bientôt, ils plafonnèrent au-dessus d'un vaste trou noir. Un moment ils hésitèrent.
— Allons-y, décida enfin Mox.
CHAPITRE V
Ils descendirent comme des papillons. La ceinture antigravifique faisait merveille et comme la nuit était noire autour d'eux, ils allumèrent leurs lampes.
Les pinceaux lumineux, très puissants, éclairèrent les parois du cylindre. Celui-ci avait au moins une dizaine de mètres de diamètre. Il ressemblait à l'énorme cheminée d'un paquebot.
Jé et Klas redoutaient surtout la rencontre avec un nuage rouge. L'un d'eux pouvait à tout moment, soit sortir, soit entrer. Alors les deux hommes se demandaient ce qu'ils feraient. S'ils avaient envisagé cette éventualité, ils n'en avaient pas trouvé la parade.
A mesure qu'ils descendaient, ils avaient la sensation que la chaleur augmentait, qu'elle devenait plus suffocante. Dehors il régnait une température de quinze degrés mais ici, les testeurs fixés au poignet de Mox indiquaient vingt-cinq.
Ils mirent exactement trois minutes pour parcourir les cinquante mètres les séparant du fond. Ils avaient glissé le long d'une cheminée rigoureusement rectiligne, sorte de tuyau métallique enfoncé dans la terre.
Quand ils sentirent sous eux un sol dur, ils coupèrent le système de leurs ceintures anti-gravité. Aussitôt la pesanteur se rétablit. Ils s'aperçurent qu'ils foulaient des dalles et comprirent qu'il s'agissait de la manifestation d'une intelligence. Une cité souterraine existait sur Molkar-I et ils avaient découvert l'une des entrées.
Qui habitait là ? Quel type de créatures ? Ils n'en savaient encore rien. Mais ils étaient courageux pour se hasarder dans une telle expédition.
Ils s'arrêtèrent, épiant l'épais silence. Par précaution, ils éteignirent leurs lampes. Alors ils aperçurent un halo blanchâtre devant eux, émis probablement par une source de lumière.
Ils s'engagèrent dans le large corridor voûté qui succédait à la cheminée.
Klas dégaina son polyray. Malgré toutes ses aventures passées dans l'espace, malgré son intrépidité, il restait inquiet. Son œil extrêmement mobile surveillait les environs avec méfiance. La hantise de voir surgir un nuage rouge ne l'abandonnait pas. Et il pensait que son arme serait un peu légère pour lutter contre le leucocyte géant !
Un leucocyte ou une entité fluidique, quelque chose d'impalpable et de détectable seulement aux instruments ?
Il ne savait pas. Il avançait avec prudence, aligné sur Jé qui redoutait aussi la suite de l'expédition.
Pour se donner du courage, Mox contacta le COS-200 à l'aide de son émetteur portatif. Il fut heureux d'entendre la voix de Gia :
— Comment ça se passe, Jé ?
— Très bien pour le moment. Nous nous dirigeons vers une lueur.
— Faites gaffe ! recommanda Paz.
— Vous décelez d'autres nuages ?
— Non. Les palpeurs ne signalent rien.
— J'aime mieux ça ! soupira le commandant.
Il se tut, coupa le contact et toucha le bras de Klas :
— Vous avez la frousse ?
— Moi ? Non, mentit le pionnier. J'ai l'habitude. Dans notre corporation, nous ne sommes pas des poules mouillées. Nous en voyons de toutes les couleurs.
Il transpirait. Il ne savait pas si c'était à cause de la chaleur ou bien tout simplement parce qu'il avait peur. Il se disait que Mox aussi devait être inquiet.
Ils se trouvèrent bientôt devant un genre de bifurcation. Le tunnel continuait tout droit mais il y avait un gros conduit au ras du sol, de calibre plus réduit. Où conduisait-il?
En tout cas, la lueur ne provenait pas de cette canalisation mais du couloir central. Aussi les deux hommes ne réfléchirent-ils pas longtemps.
A ce moment, Gia appela en hâte. Il avait la voix émue :
— Jé ! Nous avons repéré un nuage. Nous ne l'apercevons pas sur le panoramique, à cause de la nuit, mais les détecteurs sont formels. Une masse d'électrons se dirige vers la cheminée.
Mox avala sa salive :
— Nom d'un chien ! jura-t-il. A combien est-il ?
— Il survole l'océan. Il vient sûrement de l'espace interplanétaire lui aussi. Dans cinq minutes il atteindra la cheminée.
— Tu dis qu'il s'agit d'une masse d'électrons ?
— Oui. L'ordinateur est là pour le confirmer. Qu'allez-vous faire ?
— Nous n'avons pas le temps de revenir au vaisseau.
— Il va vous dévorer ! cria Paz, follement angoissé.
— Espérons que cette saloperie passera sans nous voir, comme il ignore le COS-200. Mais prépare-toi à toute éventualité, Gia. Il faut que vous puissiez décoller en quelques secondes.
— Tout est prêt, Jé, rassure-toi. Mais nous ne pouvons quand même pas t'abandonner...
— C'est un ordre ! insista Mox.
Paz devint haletant :
— IL entre dans la cheminée. Attention !
Le commandant coupa l'émission. Il tira violemment Klas par la manche et les deux hommes se réfugièrent dans une sorte de niche qui était découpée dans la paroi. Ils retinrent leur respiration, ne bougèrent pas.
Pétrifiés, ils ne perçurent qu'un silence impressionnant. D'un côté, le halo blanchâtre dessinait sa clarté. De l'autre, c'était la nuit profonde.
— IL arrive ! souffla Jé à l'oreille de son compagnon.
Ils entendirent une sorte de sifflement continu. Puis ils discernèrent quelque chose de vague qui s'engageait dans le conduit adjacent. Ils crispèrent leurs doigts sur la détente de leurs polyrays mais ils n'eurent pas à se servir de leurs armes.
Ils poussèrent un énorme soupir de soulagement et s'épongèrent le front. Le premier, Klas se dérida :
— Eh bien ! nous l'avons échappé belle ! Si nous nous étions trouvés dans la portion précédant la bifurcation, nous serions peut-être actuellement dévorés.
— Peut-être, répéta Mox en hochant la tête. Mais pas sûr. Les nuages rouges semblent nous ignorer momentanément et ont mieux à faire.
— Que fabriquent-ils par ici alors que leur coin de prédilection semble l'espace, et plus précisément la zone extra périphérique ? Jé avait hâte de reprendre sa marche en avant maintenant que le danger était écarté. Il revint avec précaution vers le conduit, le sonda avec sa lampe électrique, et découvrit un coude à quelques mètres contre lequel butaient les rayons lumineux.
Il rejoignit Klas :
— Sans doute est-ce par-là qu'ils entrent tous. Ils y viennent d'eux-mêmes ou ils sont attirés.
Les deux hommes continuèrent leur lente progression. Au bout de quelques minutes, la luminosité grandit. Elle devint franchement aveuglante et nécessita l'apport de verres fumés. Derrière leurs lunettes, nos amis découvrirent alors quelque chose de fantastique.
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Ils s’arrêtèrent net, figés. Leurs yeux, un moment éblouis, s'habituèrent progressivement à l'irradiante clarté blanche qui tombait de la voûte.
Ils étaient médusés. Jamais ils n'avaient vu une scène aussi hallucinante. Pourtant, l'un comme l'autre, ils avaient roulé leur bosse un peu partout dans l'Univers.
Seulement, le contact avec des Extra-terrestres restait toujours un grand moment d'émotion. Les formes de vie étaient si différentes, si hétéroclites, que pas deux ne se ressemblaient. Mais elles avaient toutes quelque chose de commun : dans n'importe quelle circonstance, elles assuraient coûte que coûte la continuité de leur espèce. C'était primordial. Puis en second lieu venait un autre but, plus ou moins profond selon le développement de leur communauté. Elles tendaient à élargir leurs connaissances de tout ce qui les entourait et certaines créaient des civilisations marquantes, caractérisées par des réalisations concrètes qui étaient en somme la matérialisation d'idées nées de cerveaux intelligents.
L'Exploration avait classifié diversement ces types de civilisations. Il y avait les primitives, celles qui stagnaient, celles qui progressaient constamment. Les techniciens utilisaient des lettres pour s'y reconnaître.
Il y avait des civilisations de type A, de type B ou C. On y adjoignait aussi des chiffres et cela donnait A 3 ou C 8 par exemple. Ce code, répertorié, était sans cesse mis à jour car les pionniers ramenaient constamment de leurs voyages des nouveautés.
Klas dégaina son polyray et grommela :
— Je tire dans le tas ?
Jé se précipita et arracha l'arme des mains du capitaine. Il le sermonna vertement :
— Vous êtes fou ! Vous voulez donc faire une bêtise ?
Klas haussa les épaules.
— Bah ! Que peut-il arriver ?
— Nous ne sommes pas encore repérés. Du moins je le pense. Alors c'est inutile de donner l'éveil.
Le pionnier resta sceptique :
— Vous croyez ça ? Il y a belle lurette que les « créatures » savent que le COS-200 a atterri.
— Possible, admit Mox. Mais regardez-les. Elles semblent ignorer notre présence. Elles s'activent comme si elles étaient seules.
Ils regardaient en effet, de tous leurs yeux. Et le spectacle les affolait.
C'était des créatures sphériques, un peu moins volumineuses qu'un homme, mais leurs formes étaient étranges.
Elles se gonflaient et se dégonflaient comme sous l'effet d'une respiration. Des vacuoles criblaient la surface d'une « peau » qui ressemblait à une pelure d'orange. D'ailleurs, il y avait une couleur orangée caractéristique...
Quatre appendices longs, filiformes, souples, se rétractaient et s'allongeaient selon les besoins. Quand ils se rétractaient, ils disparaissaient complètement dans une sorte de poche. Chaque appendice possédait trois doigts.
Mais ce qu'il y avait de plus spectaculaire, c'était le déplacement de ces créatures. Elles roulaient comme des boules, poussées par des contractions musculaires. Elles allaient dans tous les sens.
— Curieux moyen de locomotion ! glissa Jé en sourdine.
— Bah ! fit Klas avec une grimace.
— Quoi, « bah » ?
— Je commence à être blasé. J'ai déjà vu des tas d'animaux ridiculement laids.
— Ne mésestimez pas ces créatures, sans doute de type C 8 ou D 4. Il s'agit d'êtres intelligents.
— Je ne vois pas la différence avec un animal. L'homme n'appartient-il pas lui-même à ce règne ?
Mox haussa les épaules. Il avait l'impression que de parler avec Klas ne servait à rien. Aussi il se plongea dans un mutisme rigoureux et observa les agissements des boules orangées.
Celles-ci s'affairaient devant un étrange engin qui ressemblait à un long cylindre muni de plusieurs alvéoles. Il parut à Jé que chaque alvéole avait la grosseur d'un des sphéroïdes.
Il ne se trompait pas. Les deux hommes comprirent vite que le cylindre n'était autre qu'un engin de locomotion.
Les « boules » roulèrent vers le véhicule, s'encastrèrent parfaitement dans les alvéoles, et quand toutes furent à bord, une sorte d'éclair bleuâtre zigzagua à l'arrière du cylindre.
Celui-ci se souleva du sol, à quelques pouces, et s'ébranla doucement en silence. Il plongea dans un long couloir illuminé de lumière blanche et disparut, comme une rame de métro dans son souterrain.
Klas voulut s'élancer mais Mox le retint. Il grogna :
— Quoi, encore ?
Jé tendit le doigt vers un bizarre appareil qui renvoyait l'image du cylindre en mouvement. C'était comme un système de télévision, d'une tout autre conception que celle utilisée par les Terriens.
Mais ce n'était pas la vue de cet instrument qui motivait la prudence de Mox. Il désigna aussi une créature, immobile devant l'écran.
Elle avait rétracté ses quatre appendices et présentait sa rotondité parfaite, à peau fortement granuleuse. Elle n'avait pas filé avec les autres et semblait au contraire protéger leur fuite.
Mais était-ce bien exact que les créatures sphériques avaient fui ?
Jé en doutait. Pour le moment, il oubliait la menace constituée par le nuage rougeâtre. Celui-ci pouvait à tout moment resurgir de la tubulure pour regagner l'espace. Ou une autre entité fluidique était bien capable de pénétrer dans la cité.
Klas s'impatienta. Il avait une folle envie de visiter la « ville » souterraine, de faire plus ample connaissance avec la civilisation installée sur Molkar-I. Mais il n'osait pas prendre lui-même l'initiative, à cause de Mox.
— On retourne au Cos-200 ? dit-il à regret.
Jé avait une idée bien arrêtée :
— Il faut nous emparer de ce spécimen. Le dos collé à la paroi, Klas crut que son compagnon plaisantait. Il ne se voyait guère en train d'attraper la boule orangée par ses appendices !
— Elle foutra le camp dès qu'on apparaîtra en pleine lumière ! soupira-t-il.
Jé dégaina son polyray. Il déplaça un curseur sur une bague graduée et expliqua :
— Mon arme peut envoyer des paralysants. Vous ne pensez pas que ça vaut le coup d'essayer ?
Klas opina. Alors Mox visa soigneusement la créature ronde, toujours immobile devant l'écran sur lequel évoluait le cylindre porteur des boules agglutinées.
Il appuya sur la détente. Une onde silencieuse gicla et dès son impact avec la masse vivante, localisa avec exactitude le cerveau. Dès lors elle paralysa les centres réflexes et moteurs.
La créature resta figée comme elle l'était, mais Jé, confiant, jaillit en pleine lumière, découvrant sa présence. Il testa l'efficacité de son arme.
Il cria, agita les mains en tous sens pour effrayer la boule orangée :
— Abou... hou... hou...
Son cri ne provoqua aucune réaction chez l'être sphérique. Celui-ci conserva sa farouche immobilité. Alors Jé s'approcha, tendit sa main vers l'une des poches et tâta à l'intérieur. Il découvrit l'appendice enroulé.
Il le dévida. Le membre grêle, mou, flexible, s'étira comme un bout de caoutchouc.
— Aidez-moi Klas. Je crois que cette boule n'est pas tellement lourde. A nous deux, nous la traînerons jusqu'à la cheminée.
Cette perspective effraya le capitaine. Il fit une abominable grimace :
— C'est un travail colossal. Et puis à quoi ça servira ?
— Je veux ramener cette créature au COS-200.
Klas fixa intensément Jé, avec surprise :
— Tout à l'heure, vous me traitiez de fou. Maintenant, c'est à mon tour. J'espère que vous n'êtes pas sérieux ?
— Oh si ! confirma Mox. Très sérieux.
Le pionnier accentua sa grimace. Il ne demanda pas d'explication mais il se mit à fureter un peu partout autour de lui. Il découvrit des appareils étranges dont l'utilité lui échappait.
Il s'immobilisa devant l'écran juste au moment où l'engin de locomotion cylindrique disparaissait dans une sorte de sas.
— Vous avez vu ?
— Eh bien ? sourcilla Jé.
— Dans cinq minutes, nous les aurons sur le dos, ça paraît évident.
— Ils nous ont déjà laissés faire beaucoup de choses. Pourquoi ne continueraient-ils pas ?
Le capitaine haussa les épaules :
— Comme vous voudrez. Mais nous prenons des risques.
Il fouilla dans l'une des poches flasques, trouva un second appendice et l'étira comme il l'avait vu faire à Jé. Il noua le membre autour de son bras et exerça une légère traction.
L'appendice se raidit et la boule avança de quelques centimètres sur le sol, parfaitement insensibilisée. Cette victoire encouragea Klas. Il tira plus fort et la créature glissa à sa suite.
Les deux hommes s'attelèrent à la tâche. Ils agrippèrent chacun un membre et halèrent le sphéroïde derrière eux avec plus de facilité qu'ils ne l'auraient imaginé. Ils s'engagèrent dans la galerie par où ils étaient venus.
Jé évaluait le poids de la « boule » vivante :
— Trente kilos, pas davantage, estima-t-il.
Klas hocha la tête :
— Environ, lança-t-il à son tour. Mais comment la hisserons-nous par la cheminée ?
Cette éventualité ne semblait pas préoccuper Mox. Quand il arriva à la bifurcation de la galerie, il regarda dans la canalisation où avait disparu le nuage rouge. Il craignait surtout l'apparition subite du monstrueux leucocyte.
Sa lampe montra un conduit vide. Il soupira, soulagé. Cela n'excluait pas la menace, mais Mox pensait qu'il aurait le temps. Il se hâtait, tirant de toutes ses forces.
Quand ils parvinrent sous la cheminée, ils observèrent un moment le ciel étoilé qui tendait sa toile au-dessus de la construction. Un orifice laiteux se découpait à cinquante mètres de hauteur.
Ils avaient présumé de leurs forces. Molkar-I n'était pas Ter-7 et ils éprouvaient une sorte de vertige. Ils durent s'adosser à la paroi et reprendre haleine.
Klas broyait du noir :
— Si un nuage entre ou sort, nous sommes frais !
Il ouvrait la bouche comme un poisson qui sort de l'eau. Ils mirent dix bonnes minutes pour récupérer et le plus gros ne semblait pas accompli.
Jé expliqua d'un ton rassurant :
— Nos ceintures anti-gravité nous aideront. Allons-y, Klas. Nous avons déjà assez perdu de temps.
Ils empoignèrent la créature chacun par un appendice. Puis ils appuyèrent sur le déclic du mécanisme antigravifique. Les ceintures les hissèrent lentement jusqu'au sommet avec leur prisonnier.
Quand ils émergèrent à l'air libre, ils poussèrent un soupir de soulagement. Non pas parce qu'ils étaient tirés d'affaire, mais parce qu'ils étaient enfin sortis de la cité souterraine.
Ils redescendirent le long de la cheminée et quand ils touchèrent le sol, près de leurs bulles, ils comprirent qu'ils avaient gagné la première manche.
Jé vérifia que la boule orangée était toujours bien insensibilisée, et avec l'aide de Klas il la poussa dans le cockpit de sa bulle. La créature ronde entra avec difficulté et s'immobilisa sur le siège.
— Au COS-200 ! décida Mox.
Les deux engins décollèrent et se dirigèrent vers le vaisseau. Mox appela Paz et lui dit que tout allait bien. De son côté, Gia ne signala aucun incident. Mais juste comme ils se posaient sur la plate-forme d'accès, l'être sphérique émergea de sa longue paralysie.
Alors, pour Jé, ce fut l'occasion d'une nouvelle surprise !
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L'un des quatre appendices, jusque-là flasque, jaillit de la poche et prit une certaine raideur. Il s'étira, effleura Mox, se rétracta avec rapidité, et recommença une approche mystérieuse.
Intrigué, Jé contemplait la créature. Il se retourna, aperçut le sas de la plate-forme qui se refermait automatiquement. Quoi qu'il arrive, l'Extra-Terrestre ne pourrait pas s'évader à moins qu'il ne se dématérialise et ne passe au travers des parois de l'astronef !
Klas débarqua de sa bulle, s'avança vers celle du commandant, et comme celui-ci ne descendait pas, il s'inquiéta :
— Eh bien ?
Jé fit un signe impératif de la main. Il plaça un doigt sur ses lèvres :
— Chut ! intima-t-il.
Médusé, Klas observait la créature ronde. Elle avait une curieuse attitude. L'un de ses appendices, toujours le même tâtait Mox et appréciait ses formes. C'était sûrement un membre tactile ou un organe des sens.
Jé se laissait faire. Il se prêtait à cette investigation comme s'il devinait qu'elle était importante. Quand les trois doigts terminés par des sortes de ventouses s'appliquèrent au sommet de son crâne, un long tressaillement le parcourut.
Il lui sembla que quelque chose se passait. Sur le moment, il ne sut pas dire quoi. Une espèce de fluide coula en lui, inonda son corps en entier, le plongea dans une torpeur hypnotique.
Il ferma les yeux, comme s'il s'endormait. L'inquiétude de Klas augmenta. Il balbutia :
— Mox ! Voulez-vous que...
Le commandant du COS-200 rouvrit vivement les yeux, observa le pionnier avec sévérité, et lui adressa un nouveau geste significatif.
Klas soupira en s'éloignant. Il quitta la plate-forme d'accès aux bulles et se dirigea vers la cabine axiale. Quand Nadie, Gia et Ten virent revenir le capitaine seul, ils froncèrent les sourcils.
— Et Jé ? demanda Nadie Gem.
L'agent de l'Exploration spatiale hocha la tête :
— Il est enfermé dans une bulle avec la créature. Je ne sais pas ce qu'il manigance. En tout cas il ne tient pas à ce qu'on le dérange. Il m'a proprement envoyé sur les roses !
Roof manipula les boutons du circuit interne de T.V. Il accrocha rapidement une image : c'était celle de la plate-forme des bulles. Il aperçut Mox en compagnie d'une étrange sphère orangée.
— Qu'est-ce qu'il fout ? grommela-t-il. On ne peut pas le laisser comme ça.
Il s'avança vers la porte de sortie mais il trouva Klas sur son passage.
— Restez là ! tonna le pionnier.
— Quoi ? s'offusqua Paz. Vous donnez des ordres à bord, maintenant ? Capitaine, considérez-vous comme...
— La ferme ! trancha John sèchement.
Gia passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il avala sa salive et prit l'invective de mauvais poil. Il n'aimait pas être rabroué !
— Je me plaindrai à Mox ! protesta-t-il. Klas sourit ironiquement. Il désigna l'image sur l'écran :
— Vous ne voyez pas que votre commandant est en communication avec l'habitant de Molkar-I ? Il ne faut pas le déranger !
Paz se renversa sur son siège et se tapota le ventre. Il gloussa :
— Vous croyez donc qu'ils se font leurs confidences ?
Roof augmenta le son mais il n'entendait rien. Rageur, il éteignit l'écran et grommela :
— En tout cas, je ne sais pas ce qu'ils se racontent. Pour que Jé ne sorte pas de la bulle, ça doit être rudement passionnant !